Rendez-vous à la brasserie du Train bleu de la gare de Lyon à Paris. On se croirait (presque) au début d’un roman d’AgathaChristie. Mais SabrinaHamoudi n’a rien à voir avec Miss Marple, encore moins avec Hercule Poirot. Si elle n’a jamais pris l’Orient Express, la jeune femme de 35 ans connaît bien les trains, elle y passe une grande partie de son temps. « Parfois je ne rentre pas chez moi pendant deux semaines », confie-t-elle. Détective, un métier où l’on ne compte pas ses heures. « Concilier vie de famille et vie professionnelle, c’est difficile. »
L’erreur judiciaire, « c’est le triste quotidien de la justice »
D’ailleurs, ce matin, une psychologue l’a contactée. Elle est persuadée de l’innocence d’un de ses patients. « Apparemment, elle était citée à la barre mais le procureur l’a empêchée de témoigner en faveur de son patient et a provoqué un incident de séance. De plus, l’avocat du prévenu s’est montré complaisant n’appelant aucune personne à la barre pour témoigner en faveur de son client. » Parfois, la détective « peine à s’expliquer certaines choses ». Un récit pour le moins étonnant, sauf pour Sabrina, « c’est le triste quotidien de la justice en France ».
Une vocation militante
Sabrina est née dans le Forez, à Saint-Étienne. Elle y vivra et étudiera jusqu’à l’ouverture de son bureau à Lyon.
Si Sabrina Hamoudi a choisi cette voie, ce n’est en aucun cas par défaut. Au contraire, il s’agit d’une vocation militante. Brillante étudiante en droit, elle décroche un master II. « Au début, je voulais devenir avocate, puis, je me suis tournée vers l’enquête. Mais en aucun cas, je ne voulais travailler pour la police ou la gendarmerie, j’ai une sainte horreur de la hiérarchie. Détective privé, c’était le bon compromis. » Elle prépare une licence professionnelle à Nîmes où elle rencontre son mentor, Roger-Marc Moreau, le pape de la contre-enquête pénale. « J’ai travaillé avec lui, maintenant, je l’appelle de temps en temps, il est toujours de bon conseil. »
À la fin de sa licence pro, Sabrina sort major de sa promotion. « J’ai donc eu le choix de mon futur domaine d’activité », explique la jolie brune. Ce sera la contre-enquête pénale, considérée comme la noblesse du métier. « Au début, on s’aguerrit sur des affaires classiques d’adultères, liés à des procédures de divorces, mais je ne voulais pas faire cela très longtemps. »
« On ne fait pas ce métier pour l’argent »
Encore un choix militant. Si les affaires civiles sont les dossiers les plus rémunérateurs, la contre-enquête pénale est plus prestigieuse mais beaucoup moins bien payée. « Je ne fais pas ce métier pour l’argent. Mes honoraires me permettent de couvrir mes frais d’enquête (billets de trains et d’avion, nuits d’hôtel, frais de bouche, etc.), une fois mon loyer payé, je suis loin de rouler sur l’or. »
Sabrina Hamoudi a une vision militante de son métier. « En France, la justice commet un nombre d’erreurs important et est très peu encline à les reconnaître. Par manque de moyen souvent, un manque de volonté, une peur de perdre la face, ce facteur entraîne souvent l’erreur judiciaire. On peut ajouter à cela le mythe de la justice infaillible. » La police en prend aussi pour son grade, Sabrina l’affirme sans détour : « La pression de la hiérarchie et la culture du résultat entraînent inévitablement des manquements graves dans le travail des enquêteurs. En France, on charge très vite un suspect. »
« La pression de la hiérarchie et la culture du résultat entraînent inévitablement des manquements graves dans le travail des enquêteurs. En France, on charge très vite un suspect. »
« La moitié du job, c’est l’étude du dossier »
Sabrina Hamoudi a choisi la contre-enquête pénale, non seulement pour le goût de l’enquête, mais surtout pour tenter de sortir des innocents de prison, voire éviter qu’ils y rentrent. « Et il y en a beaucoup », affirme-t-elle. La jeune femme confie surtout passer la majeure partie de son temps dans la paperasse. « La moitié du job, c’est l’étude du dossier, il faut s’y plonger corps et âme, explique-t-elle, c’est le point de départ de toute contre-enquête pénale. »
Quand doit-elle intervenir ? « Le plus tôt possible, comme pour une maladie. Plus on attend, plus c’est difficile de sortir la personne d’affaire. »
En effet, il est plus facile d’enquêter pendant l’instruction, la défense peut encore apporter des pièces au dossier. « Mais souvent, les gens attendent trop longtemps, ils ont déjà été condamnés définitivement. Apporter des preuves susceptibles d’entraîner la révision du procès relève alors du miracle. »
« Je ne fais jamais de promesses à mes clients »
La jeune femme se souvient d’une connaissance dont le fils avait été condamné pour homicide volontaire. « J’ai conseillé à cette personne de lancer tout de suite une contre-enquête, elle était persuadée de l’innocence de son fils ». Elle refuse et préfère recourir au service d’un grand cabinet pénaliste. « Elle n’avait pas les moyens de se payer un grand avocat comme Éric Dupont-Moretti, le cabinet lui a envoyé un très jeune collaborateur qui n’a pas pu faire grand-chose pour son fils. Il a pris 20 ans. » La détective ne prétend pas qu’elle aurait pu sauver ce jeune homme de la prison. « Je ne fais jamais la promesse d’une issue positive au client. Je lui promets une seule chose : me démener. »
La tâche est rude. « On est souvent seul face à la machine judiciaire et ce n’est pas rien. » La détective regrette que ses confrères ne soient pas suffisamment nombreux. « On pourrait alors se regrouper en corporation, en syndicat et obtenir plus de reconnaissance. Par ailleurs, si nous pouvions bénéficier de l’aide juridictionnelle, ce serait formidable. »
Première affaire, première victoire
Évidemment, les dossiers sont plus faciles lorsqu’elle a suffisamment de temps et que la justice n’a pas été définitivement rendue. Dans ce cas, elle est en mesure d’inverser totalement certaines situations. Sa plus grande fierté, c’est sa première affaire de contre-enquête pénale. L’histoire sombre d’un viol collectif commis par six lycéens de Macon sur une jeune femme. La pression médiatique et la hiérarchie judiciaire sont très puissantes, l’enquête est bâclée, le procès expéditif. La jeune femme soi-disant victime avait en réalité tout inventé. Les accusés sont condamnés à de lourdes peines en première instance. Ils décident alors de recourir aux services de Sabrina Hamoudi pour mener la contre-enquête et donc apporter les preuves de leur innocence au procès en appel. « J’ai réussi à mettre en lumière les manquements et l’oubli volontaire de certaines preuves à la décharge de mes clients. » En appel, les six lycéens sont acquittés. « Un moment émotionnel extrêmement fort » pour la détective privé.
Pour Sabrina Hamoudi, ils sont nombreux, les innocents à croupir en prison. Malheureusement, il n’y a pas assez de détectives en contre-enquête pénale pour tenter d’’empêcher toutes les erreurs judiciaires. « Beaucoup de jeunes étudiants en droit aimeraient devenir détective. Mais lorsqu’ils comprennent les difficultés qui les attendent, ils préfèrent se tourner vers d’autres professions juridiques. » Il faut aussi un mental solide. « On est souvent face à des gens désespérés qui ont tout perdu, y compris leur liberté. Vous êtes leur dernier espoir. »