Comme l'a rappelé Marie-Christine Wienhofer, bâtonnière de Meaux, à l'issue de la rentrée solennelle de l'EFB, la plaidoirie tend à perdre de plus en plus de terrain. Mais les 2 074 élèves-avocats de l'école ont pu constater combien l'art oratoire garde une place de choix chez les avocats.
Déontologie, secret professionnel, éthique, défense des libertés… Les invités de marque venus accueillir la promotion « Laurent Fabius » ont livré tour à tour une prestation des plus inspirantes à l'adresse de ces futurs auxiliaires de justice en robe noire. Avec une solennité de circonstance, un peu d'humour et parfois une touche de lyrisme, cette entrée en matière a ouvert sans ménagement la dernière ligne droite avant l'obtention du diplôme du CAPA.
Outre le nombre toujours grandissant d'admis – l'EFB de Paris forme la moitié des avocats français –, la promotion « Laurent Fabius » marque également la fin d'une époque. « Vous pouvez être fiers de vous, et particulièrement cette année, car entre nous, vous êtes un peu la promotion des rescapés », s'est d'abord amusé Gaël Zouaoui, président de l'Association des élèves-avocats, faisant référence à la mise en place de l'examen national.
Anticipant la prestation du premier serment, l'orateur a tenu à rappeler qu'il ne s'agissait pas d'une « formalité », mais d'un acte « essentiel », puisque consacrant de nombreux principes, dont le secret professionnel, un « principe fondamental, cardinal » de la profession. Des connaissances, des compétences, du talent et même du courage seront nécessaires à l'accomplissement de cette vocation.
« Le courage, c'est aussi de défendre l'indéfendable contre vents et marées, c'est exercer quotidiennement la profession d'avocat dans un pays dont le budget alloué à la justice ne cesse de reculer, c'est assister son client dans une prison surchargée et insalubre telle que Fleury-Mérogis », a ensuite illustré Gaël Zouaoui. Le président de l'Association des élèves-avocats a conclu son intervention en invitant ses pairs à « s'engager dans la vie de l'EFB », qui a « besoin d'être animée ».
C'est ensuite Olivia Ronen, 9e secrétaire de la Conférence, chargée notamment de la « Petite Conférence » de l'EFB, qui s'est exprimée avec vigueur dans le grand amphithéâtre du Palais des Congrès, portée par une salle bondée. « Vous êtes devenus des experts de l'actualité juridique, des rois du syllogisme, des dieux de la procédure, vous avez obtenu le sésame qui vous ouvre les portes de l'école des avocats », a-t-elle commencé.
© MSM - Le Grand amphithéâtre du Palais des congrès de Paris peut accueillir plus de 3000 personnes.
« Dans cette école, vous allez dire vos premiers mots, vous allez enfin apprendre à parler », a-t-elle ironisé à l'adresse des élèves-avocats. « [vous apprendrez] à utiliser les mots, ils seront vos outils pour convaincre. Désormais pour vous, le silence est mort et les paroles sont d'argent, alors jouissez, usez, abusez des mots, domptez le verbe et n'ayez pas peur de jouer avec lui, il est là pour ça ! », a-t-elle conclu dans une envolée lyrique, avant d'inviter les nouveaux venus à passer le concours de la Conférence.
Jean Néret, président délégué de l'école, a quant à lui usé d'une certaine dose d'humour pour souhaiter la bienvenue à ses élèves. Précisant que les enseignements de l'EFB avaient été « profondément repensés depuis une année » pour servir au mieux les objectifs d'acquisition de la méthodologie, il a ensuite averti ses élèves de l'importance d'acquérir la « maîtrise de l'analyse juridique », face à l'avènement des legaltechs.
« Vous serez choisis parce que vous pourrez apporter votre éclairage, votre expertise », a-t-il précisé, indiquant que désormais tout un chacun pouvait avoir accès à la règle de droit. « Vous avez pas mal de défis à relever, et vous avez un travail opiniâtre à effectuer dans cette école pendant 18 mois. Dix-huit mois, c'est interminable, c'est un bagne ! », a-t-il renchéri avec malice, avant d'ajouter sur un ton plus conciliant « je vous invite à faire de cette école l'irrésistible tremplin, la formidable rampe de lancement de votre exercice professionnel futur, ne décevez pas votre école, foncez ! ».
© MSM - Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris et président de l'EFB, Jean Néret, président délégué de l'EFB, accueillant Laurent Fabius, parrain de la promotion 2017.
Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris et président de l'EFB, a, en orateur confirmé, et avec lyrisme, fait part des différentes qualités nécessaires à l'exercice du métier. « Ils exerceront cette noble profession en sachant qu'elle est plus qu'un métier, une mission, un service fondé sur des idéaux de liberté et de prééminence du droit », a-t-il d'abord lancé, avant d'ajouter « pour être avocat, il faut être engagé, Dante a promis aux indécis le plus sombre des enfers ! ». Le bâtonnier a ensuite évoqué le courage, précisant que « la conviction est la volonté humaine arrivée à sa plus grande puissance », selon l'œuvre de Balzac.
« En faisant le choix de cette profession, vous avez choisi un engagement, une ouverture, mais également la foi en des valeurs supérieures qui justifient que vous soyez combatifs, créatifs, entreprenants, patients, toujours au service de l'humanité, au service des intérêts de chacune et de chacun », a-t-il lancé aux élèves-avocats.
Frédéric Sicard a ensuite présenté le parrain de la promotion, arrivé quelques minutes plus tôt. Indiquant que Laurent Fabius avait été choisi en octobre dernier lors d'un discours prononcé à Sciences Po, où le président du Conseil constitutionnel disait vouloir s'engager à « rencontrer des jeunes et des professionnels de tous milieux », le bâtonnier s'est dit « touché et concerné » par cet engagement. « Votre parrainage s'imposait », a-t-il ajouté, signalant au passage que l'année 2017 correspondait au 40e anniversaire de son entrée en politique.
Laurent Fabius a ensuite pris la parole en sa qualité de parrain de la promotion, évoquant les bénéfices tirés de la QPC (question prioritaire de constitutionnalité) dans le rapprochement des avocats avec le Conseil constitutionnel. Et dans le but d'en faire une véritable juridiction, l'ancien ministre des Affaires étrangères a souligné la création d'une salle d'audience et d'un espace spécialement réservé aux avocats, la salle Jeanne-Chauvin, dans l'aile Montpensier du Palais royal.
L'introduction de la possibilité de poser des questions aux parties est également à même de contribuer à les « impliquer davantage et donc les avocats », ceci permettant d'accroître les échanges et de rendre ainsi « plus vivante la partie orale du procès constitutionnel ». Avant de conclure son intervention par un discours de Jean Jaurès sur le courage, le président du Conseil constitutionnel, s'adressant aux élèves-avocats, a rappelé que la profession était une « mission importante pour la société (…), au-delà de vos futures spécialités, vous incarnerez, chacun à votre place, une part importante de notre État de droit ».
©MSM - B. Ader et M-A. Peyron, vice-bâtonnier et batonnière élus, D. Attias et F. Sicard, vice-bâtonnière et bâtonnier, et M-C. Wienhofer, bâtonnière de Meaux.
Peu de temps avant la prestation de serment proprement dite, Marie-Christine Wienhofer, bâtonnière de Meaux, mais aussi doyenne de l'ensemble des bâtonniers en exercice rattachés à l'EFB (barreaux de Paris, Auxerre, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, l'Essonne, Fontainebleau, Meaux, Melun et Sens), s'est exprimée avec solennité au nom de ses sept confrères également venus accueillir leurs futures recrues.
« Leur entrée dans la profession d'avocat va coïncider avec une période de mutation radicale de notre exercice professionnel, et peut être la mutation la plus importante que nous ayons connue depuis un certain nombre d'années », a-t-elle d'abord déclaré face à la cour d'appel réunie en audience solennelle.
Pour Marie-Christie Wienhofer, c'est d'abord la place de la plaidoirie qui sera amenée à se réduire, même si paradoxalement, comme la bâtonnière l'a ensuite reconnu, les concours d'éloquence ont tendance à se multiplier. « Jamais l'exercice professionnel n'a été aussi ouvert, le champ des possibilités est presque illimité », a-t-elle poursuivi, estimant que cette ouverture permettrait aux élèves-avocat de se sentir « à l'aise dans [leur] métier ».
©MSM - La cour d'appel de Paris réunie en audience solennelle pour la prestation du "premier serment".
Evoquant en ce sens les modes alternatifs de règlement des conflits, la bâtonnière de Meaux a ajouté que les MARD étaient une « marque de qualité due à la clientèle », et soumis à une stricte déontologie. Il ne s'agit pas pour elle d'une « atteinte à l'équité des décisions », la déjudiciarisation n'étant en aucun cas à craindre.
« Pensez qu'il y a huit barreaux susceptibles de vous accueillir en dehors du grand barreau parisien, nous n'attendons que vos talents », a-t-elle finalement souligné, avant de lancer la cérémonie du « petit serment », prélude au vrai serment qui entérinera l'entrée dans la profession pour ces 2074 élèves-avocats.