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Rencontre avec Philippe Hayat

L'entreprise, le partage d'expérience et l'écriture constituent aujourd'hui les trois vies – professionnelles et passionnelles – de Philippe Hayat. Fort d'un incontestable talent messianique, ce multi-entrepreneur porte inlassablement la bonne parole de l'entrepreneuriat, des écoles – primaires et grandes – aux antichambres des ministères.
Philippe Hayat
MSM - Philippe Hayat

ActualitéGrand témoin Publié le ,

Affiches Parisiennes : Pouvez-vous rapidement retracer votre parcours professionnel ?
Philippe Hayat : Je suis entrepreneur depuis une vingtaine d’années. J’ai créé ou repris un certain nombre d’entreprises, successivement dans l’industrie, les services et les nouvelles technologies. Avec deux associés, Marc Fournier et Xavier Lorphelin, j’ai ensuite monté Serena Capital, un fonds d’investissement ayant vocation à investir dans des PME innovantes à très forte croissance. Nous avons lancé Serena 1 il y a cinq ans et Serena 2 il y a quelques mois. Ces deux fonds, de 100 millions d’euros chacun,ont vocation à financer des PME innovantes –services, commerce, technologies…–, pour les aider à se développer. Le premier fonds a fait 15 investissements dans des sociétés comme La Fourchette, Aramis, Melty…
Serena 1 et Serena 2 sont nantis auprès d’investisseurs, soit des institutionnels comme Bpifrance (banque publique d’investissement) ou le Fonds européen d’investissement, soit des entrepreneurs, des business angels… Nous investissons en général dans des PME de niches qui sont déjà leaders sur leur marché, ce qui représente une certaine sécurité, et qui sont promises à des croissances à deux chiffres dans les années qui viennent. Ces sociétés utilisent toutes internet, pas forcément au cœur de l’activité, mais comme levier de développement.

A. P. : Vous n’êtes pas exclusivement entrepreneur… Vous avez d’autres activités professionnelles…
P. H. : Oui, j’ai trois vies. La première est donc celle d’un businessman. J’ai commencé dans l’industrie en rachetant Les Bâches de France. Cette société était à l’avant-garde des bâches publicitaires pour habiller les chantiers. Je l’ai reprise en 1994 et cédée en 1999. Ma deuxième entreprise était un incubateur de sociétés technologiques, Kangaroo Village, que j’ai créé en 1999 et vendu en 2003 à la Société Générale. J’ai ensuite repris une société de services, Architel, vouée à l’archivage de documents. Je l’ai cédée, en 2007, au leader mondial du secteur, un groupe américain. Ma quatrième aventure entrepreneuriale, c’est Serena Capital.
Parallèlement, j’ai voulu doubler cette existence d’entrepreneur avec une vie de passeur d’expérience. J’ai toujours eu à cœur de témoigner du bonheur d’entreprendre auprès des jeunes. Je l’ai fait très tôt. J’ai commencé par monter ma filière création d’entreprise à l’ESSEC. Ensuite, j’ai créé celle de Sciences Po, avant de fonder, en 2006, l’association 100 000 entrepreneurs qui a vocation à envoyer des chefs d’entreprise dans les classes pour témoigner de leur aventure et encourager les jeunes à prendre leur vie en mains. A ce jour, nous avons sensibilisé 200 000 jeunes et sur la seule année scolaire en cours, nous allons en intéresser 60 000 supplémentaires. L’association dispose d’une équipe de huit personnes qui travaillent dans dix régions. Par ailleurs, 3 000 entrepreneurs et 3 000 enseignants sont directement concernés, collaborant en réseau. La demande est exponentielle de la part des enseignants.

A. P. : Vous êtes ainsi à contre-courant des prêcheurs de misère qui font la une quotidienne de l’actualité ?
P. H. : Exactement. J’ai vivement réagi sur Twitter à la récente étude que LeMonde a consacrée à la déprime de notre jeunesse. Je trouve bien triste que les jeunes Français ne soient pas conscients qu’ils vivent dans un pays magnifique. La meilleure façon de leur redonner l’espoir, c’est de les encourager à prendre leur vie en mains. C’est la force de l’exemple, l’aventure que l’on partage, qui suscite l’envie d’entreprendre.

A. P. : Et votre troisième existence ?
P. H. : Mes deux premières vies m’ont donné le désir d’écrire sur cet acte d’entreprendre qui a pour moi une dimension philosophique. Concevoir des projets et les porter génère en moi une joie immense, très loin des stéréotypes que l’on entend tous les jours sur le monde de l’entreprise. Il y a deux ans, j’ai sorti un livre Entreprenez !, en réponse à Indignez-vous !de Stéphane Hessel. En substance : à l’indignation préférez l’action constructive… Je me suis alors rendu compte que l’écriture faisait aussi partie de ma vie. J’ai ainsi terminé un premier roman, Momo des Halles, qui vient de sortir. Ce livre retrace l’histoire d’un gosse qui est livré à lui-même dans un monde en guerre, avec une petite sœur à charge, et qui doit trouver comment s’en sortir alors que tout est contre lui.

A. P. : Les jeunes Français veulent-ils entreprendre par dépit ou par passion ?
P. H. : Les deux. En France, on monte à peu près 550 000 entreprises par an. Il y a dix ans on en montait 170 000. 60 %% sont des auto-entrepreneurs et des micro-entreprises. Je crois que la volonté des entrepreneurs est d’abord de trouver un sens à leur vie. C’est très présent avec la génération Y. Ils savent aussi qu’avec la crise, l’emploi à vie n’est plus assuré dans un groupe. C’est donc finalement aussi risqué de prendre un job que de se mettre à son compte. La précarité, le jeune préfère la vivre sur un projet qu’il porte lui-même. C’est cette conjonction de facteurs, cette recherche de sens qui pousse la jeunesse vers l’entreprise. Trouver un sens à ce qu’on fait tous les jours est le vrai moteur de l’entreprenariat.

A. P. : Votre action trouve-t-elle un écho favorable au gouvernement ?
P. H. : Aujourd’hui, même un gouvernement de gauche déclare ouvertement qu’il a besoin des entreprises et des entrepreneurs. Il y a quinze ans, j’avais une élève qui s’appelait Fleur Pellerin et qui est devenue une ministre proche des PME. En 2012, elle m’a demandé un rapport visant à définir une méthode capable d’encourager l’entreprenariat. Ce rapport, Pour un new deal entrepreneurial en France, a initié les Assises de l’entrepreneuriat, organisées début 2013. J’y ai porté le groupe de travail sur les jeunes. Les conclusions ont été reprises par François Hollande en avril 2013, avec une rupture fondamentale. Le président et le gouvernement ont décrété que tout jeune de la 6e jusqu’à Bac + 5, devait être sensibilisé à l’entrepreneuriat pendant son cursus scolaire. A l’issue de ces Assises, j’ai fédéré toutes les associations qui œuvrent dans ce sens au sein d’Entrepreneur demain, qui nourrit actuellement une plateforme, en partenariat avec l’Education nationale, pour offrir du contenu, des témoignages, des expériences entrepreneuriales aux neuf millions de jeunes qui nous font face.

AP : Le fait de voir naître une multitude de microstructures n’est-il pas un handicap pour la croissance française, notamment à l’international ?
P. H. : Depuis 30 ans, un mal français affecte l’entrepreneuriat. Sur les 550 000 entreprises qui se créent chaque année, seules 7 000 dépasseront 10 salariés, 1 000 dépasseront 50 salariés et quasiment aucune ne deviendra une entreprise de taille intermédiaire (ETI), c’est-à-dire avec plus de 250 salariés. La cause de ce handicap est simple : les verrous de la croissance de l’entreprise n’ont jamais été desserrés. D’une part le droit du travail est beaucoup trop rigide et contraignant pour un chef d’entreprise qui vit au rythme de ses commandes. Il a besoin d’une souplesse d’embauche qui soit en résonnance avec les fluctuations de son activité. D’autre part, en France, il n’y a pas de fiscalité de combat qui encourage celui qui prend des risques, c’est-à-dire le business-angel, l’entrepreneur et même le salarié qui souhaite avoir accès au capital de son entreprise. Tant que le social et le fiscal ne seront pas déverrouillés, on ne fera pas grandir les PME. Il faut savoir qu’en France, nous avons environ 4 500 ETI, contre 8 500 en Grande-Bretagne, et surtout 11 000 en Allemagne. Avec 4 000 ETI supplémentaires, nous pourrions quasiment résoudre tous nos problèmes, dette, déficits sociaux, chômage… Depuis trente ans, à droite comme à gauche, les plans gouvernementaux ont toujours favorisé le traitement social de l’entrepreneuriat, jamais la croissance des entreprises. Pourquoi ? Parce qu’électoralement parlant, ce n’est pas payant d’assouplir le droit du travail et d’encourager cette fiscalité de combat. Il faut aujourd’hui du courage politique à nos dirigeants pour avouer que l’avenir du pays passe essentiellement par le développement des PME.

AP : Quand on voit François Hollande promouvoir le pacte de responsabilité en prenant comme interlocuteurs majeurs les syndicats et le Medef, ne se trompe-t-il pas partiellement de cible ?
P. H. : À mon sens, le pacte de responsabilité porte un péché originel. Il laisse penser que la baisse des charges et la création d’emploi constituent un donnant-donnant. C’est à mon avis une erreur majeure. L’emploi ne se décrète pas. Il est induit par un carnet de commandes, lequel est en lien direct avec la taille et la croissance de l’entreprise. Il faut donner aux entrepreneurs les outils sociaux et fiscaux pour se développer. L’emploi viendra de lui-même. Ce pacte de responsabilité va donc s’enliser comme les plans précédents, car l’Etat ne prend aucune décision claire…

A.P. : À votre avis, quelle est l’urgence de ces décisions de fond ?
P.H. : Ces décisions deviennent très urgentes, car des patrons de PME commencent à se dire « quel est le meilleur endroit pour monter mon entreprise ? ». De la même façon, des jeunes commencent à se dire « quel est le meilleur endroit pour terminer mes études ? » Nous perdons actuellement une précieuse matière vive et cela peut devenir dramatique. Nous vivons heureusement grâce à quelques miracles : une capacité innovante fabuleuse en France, un savoir-faire inouï, un pays magnifique et un art de vivre qui ne l’est pas moins et, grâce à l’Europe et à notre arrimage avec l’Allemagne, des possibilités d’emprunter à des taux encore très faibles. Tant que ces miracles persistent, nous avons encore un peu de temps devant nous, mais le pied du mur n’est plus très éloigné…

Propos recueillis par Jean-Paul Viart

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