Ce rapport présente un regard moderne d'avocats sur leur profession à l'heure où celle-ci est confrontée à de nombreux défis : croissance exponentielle de ses effectifs (+40 % en 10 ans) ; développement accéléré des nouvelles technologies dans la pratique du droit ; arrivée des legaltechs sur le marché juridique ; interprofessionnalité depuis la loi Macron…
« Le ministre a souhaité avoir cette vision hors des cadres classiques puisque la transition numérique est disruptive », explique Pierre Berlioz, professeur de droit et conseiller du garde des Sceaux, qui a participé au travail de commande du rapport. « La problématique essentielle sur laquelle les institutions réfléchissent est l'innovation », souligne ce dernier.
« Un regard libre et éclairé »
L'objectif était de rendre un travail original réalisé par un petit groupe paritaire et représentatif des diversités du barreau « de façon à avoir un regard libre et éclairé par des individus variés qui se mettent au service de la profession », explique Kami Haeri qui a dirigé cette commission. Construit sur la base de 130 auditions d'avocats, d'experts en économie et en nouvelles technologies, de sociologues et de démographes, le rapport a été élaboré avec un « champ libre absolu ». « En termes de méthodologie, on a choisi d'écouter les non-avocats en premier afin de déterminer d'abord comment la technologie allait transformer nos usages et habitudes de consommation », précise Kami Haeri. « Ce n'est qu'après cette première phase d'audition qu'on a auditionné les jeunes avocats », ajoute-t-il.
POINTS DE VUE
Denis Raynal, président de l'association Avocats conseils d'entreprises, Stéphanie Fougou, présidente de l'Association française des juristes d'entreprises, et Nicolas Guérin, directeur juridique d'Orange réagissent à ce rapport pour l'élaboration duquel ils ont notamment été auditionnés.
Quel est votre sentiment à la lecture du rapport Haeri ?
• Denis Raynal
« Au sein de l'ACE, nous avons commenté la décision du garde des Sceaux de confier à un groupe de travail dirigé par Kami Haeri la rédaction d'un rapport sur l'avenir de la profession d'avocat. Il n'était pas évident que le ministre de la Justice prenne cette initiative, compte tenu de la période préélectorale, même si le besoin d'analyse prospective et de changement est palpable dans la profession.
Nous avons été agréablement surpris par la qualité du travail de cette commission. On pouvait s'attendre à une analyse assez tiède et une position tempérée sur un certain nombre de points. Au contraire, il y a beaucoup d'éléments ambitieux de ce rapport qui rejoignent les positions de l'ACE. Certains vont même au-delà de nos vœux.
À la sortie du rapport, j'ai entendu beaucoup de commentaires, certains élogieux, d'autres beaucoup plus critiques, pointant une totale vacuité. Je pense que ces derniers n'ont pas lu ces pages.
Quand on analyse le rapport en profondeur, on y trouve de réelles avancées et une vision d'avenir assez clairvoyante qui, certainement, ne doit pas beaucoup plaire aux avocats les plus traditionnels. »
• Stéphanie Fougou
« Je salue l'initiative du ministre de la Justice d'avoir demandé à un jeune avocat de réunir une commission pour s'interroger sur l'avenir de la profession et je félicite cette commission portée par Kami Haeri de porter un regard moderne et honnête sur les évolutions nécessaires, les atouts et les lourdeurs de la profession d'avocat.
Ce rapport propose avec énergie et sincérité que la profession se revisite et saisisse des opportunités. C'est une bouffée d'air au milieu de discours souvent protectionnistes et de positions statiques des représentants de la profession. Ce rapport est résolument tourné vers l'avenir et propose à la profession un souffle nouveau, des pistes pour aller de l'avant et renforcer le rôle des professionnels du droit en éliminant les silos des professions et en valorisant la mobilité et l'utilisation des outils de nouvelles technologies. De nombreux sujets qui importent les jeunes générations y sont traités et que l'on retrouve en entreprise depuis des années : la mobilité, le bien vivre au travail, le besoin d'une formation pragmatique et professionnelle adaptée aux débouchés, les bénéfices des outils digitaux, les nouveaux métiers… de sujets dans l'air du temps que la profession se doit de regarder en face et d'agir. »
• Nicolas Guérin
« Le rapport Haeri est extraordinairement riche sur plusieurs sujets qui dépassent largement la profession de juriste. Il est aussi très intéressant du point de vue du client de l'avocat. Cette approche prouve que nous avons été entendus, en tant que directeurs juridiques. Lors de notre audition, nous avons pu dire ce que nous pensions, notamment de la formation des avocats telle que nous la percevons. La commission a réalisé un excellent travail pour apporter des solutions très concrètes afin de mettre l'avocat plus en phase avec les besoins des entreprises dans le monde industriel.
Concernant la profession d'un point de vue plus général, nous soutenons évidemment ce rapport qui est clair, explicite, notamment à travers la proposition qui veut qu'un avocat puisse exercer en entreprise. Les propositions de la commission Haeri ont le mérite d'être simple : un avocat peut continuer à être avocat en exerçant en entreprise. Naturellement, on peut toujours peaufiner, notamment concernant les mesures de transition pour les juristes ou la passerelle à huit ans, mais ces derniers ne doivent pas faire oublier le cœur de la proposition de l'avocat salarié en entreprise. Nous sommes donc ravis. Le rapport parle parallèlement de mobilité, de carrière des avocats… qui sont des mots formidables qui ont cours dans les entreprises. »