« Le premier jour de l’ouverture de la bourse, c’était fantastique. » Le grand sourire de LubanaAbdou, juriste syrienne, cache une certaine nostalgie de la fin des années 2000. Elle participe alors à la fondation de la bourse de Damas, après avoir terminé son master en droit des affaires. « Tout allait très bien. » En 2008, elle est à la tête d’une équipe de quatre juristes. « J’étais tellement fière », assure la jeune femme.
L’état de grâce dure trois ans. En mai 2012, « la situation est vite devenue incontrôlable ». Lubana a peur pour sa vie, des cousins et amis sont morts, kidnappés, emprisonnés. « Un jour, une bombe a explosé juste à côté de notre immeuble, nous avons eu beaucoup de chance de survivre, toutes les vitres ont été soufflées. »
Au fil des mois, la situation empire. « Je ne me sentais plus à ma place en Syrie, le pays était déchiré. » Lubana Abdou prend alors une décision. Grâce à un visa étudiant, elle s’envole pour Paris. « Lorsque j’étais petite, mon rêve c’était de voir Paris. Je l’ai fait, mais dans des circonstances difficiles. » En effet, la jeune femme doit laisser son petit garçon en Syrie. « Une décision très dure », admet-elle. « Au final, c’était pour son bien, au bout de six mois, j’ai réussi à le faire venir en France. Il est à l’école maternelle, il est ravi de parler français. »
À Paris, Lubana est inscrite en master de droit des affaires, à l’université Paris II Panthéon-Assas. « J’étais une juriste confirmée, c’était étrange de me retrouver au milieu d’étudiants. » En parallèle, la jeune femme suit des cours de français. « J’avais déjà appris les bases mais pour réussir mes études et mon parcours professionnel, je devais améliorer mon niveau ». Lubana est soutenue par ses professeurs. Mais ils ne sont pas les seuls. À son arrivée à Paris, elle est accueillie par une amie française. « Ses parents m’ont aidée, comme si j’étais leur propre fille. »
Une aubaine pour la jeune juriste, marquée par la guerre, la fuite, l’arrivée à Paris, dans une ville qu’elle ne connaît pas. Elle affronte la difficulté de certaines démarches. « Je comprends l’inquiétude des Européens face à l’afflux des migrants, mais s’ils affrontent autant d’obstacles pour venir jusqu’ici, ce n’est pas sans raison. Ils ont peur pour leur vie. »
Lubana décroche son master et doit relever un nouveau défi. Trouver un emploi. Elle débute par un stage dans un cabinet d’avocats. « Je voulais observer la manière dont on travaille ici. » Par ailleurs, la France est une référence pour les étudiants avocats ou juristes syriens. « La France, c’est le code napoléonien, le droit syrien est assez proche du vôtre », explique Lubana Abdou, « pour un juriste syrien, venir exercer en France, c’est prestigieux ».
À la fin de son stage, la jeune femme est repérée sur le site Village de la Justice par Stéphane Lefer, l’avocat recherche une spécialiste du droit boursier pour une opération en Asie. « Lorsque j’ai vu sur ce CV anonyme la mention ‘‘directrice juridique de la bourse de Damas’’, cela m’a intrigué. » Engagée pour trois mois, Lubana travaille toujours au sein du cabinet.
D’ailleurs, si elle « espère, un jour, revenir aider à la reconstruction de la Syrie », Lubana envisage surtout son avenir en France. « Je ne me sens plus étrangère, j’ai l’impression d’être pleinement intégrée, entourée par des amis français et syriens. » Elle prépare actuellement l’examen du barreau. « La France m’a accueillie, j’ai le sentiment de renaître. »