AccueilDroit & chiffreLes immobilisations : un objet comptable pas si facilement identifiable...

Les immobilisations : un objet comptable pas si facilement identifiable...

La distinction entre un actif immobilisé et une charge a toujours constitué une question délicate, entre règles comptables, principes fiscaux, application du Code civil et bon sens. Les réformes comptables de 2005 ont fait évoluer les pratiques comptables par une reconnaissance plus large de la notion d'immobilisation. Voici une illustration de cinq analyses pratiques tirées de la jurisprudence fiscale, qui montrent que l'Administration suit aussi de manière ‘connectée' les considérants comptables avec une extension du périmètre des éléments à inscrire à l'actif des bilans.
Les immobilisations : un objet comptable pas si facilement identifiable...
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Le plan comptable général (PCG) dans sa version initiale du 27 avril 1982 définissait les immobilisations (hors les titres financiers et les créances attachées) comme les « éléments corporels et incorporels destiné à servir de façon durable à l’activité de l’entreprise ; ils ne se consomment pas par le premier usage », et les immobilisations corporelles comme « les choses sur lesquelles s’exerce un droit de propriété ».

Depuis la réforme mise en œuvre en 2005 dans un cadre général de convergence vers les normes comptables internationales Ias-Ifrs (1), le plan comptable général (règlement 99-03 du Comité de la réglementation comptable mis à jour) fixe qu’ « un actif est un élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive pour l’entité, c’est-à-dire un élément générant une ressource que l’entité contrôle du fait d’événements passés et dont elle attend des avantages économiques futurs » (art. 211-1-1).

L’évolution rédactionnelle est importante, même si la réforme 2005 a maintenu la non inscription à l’actif du bilan des locataires des biens pris par contrat de crédit-bail ou de location longue durée, conformément au principe de propriété juridique.

Fiscalement, ces principes sont importants car comme l’indique l’Administration, « il n’existe pas de définition fiscale autonome de la notion d’actif immobilisé » (voir BOI-BIC-CHG-20-10).

Voici cinq illustrations applicatives récentes.

Noms de domaine « .fr » : c’est un actif incorporel !

Selon l’arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de Paris le 30 avril 20123 (n° 12PA02246 et 12PA02678), le paiement d’un droit d’usage d’un nom de domaine internet en « .fr » représente une « valeur économique susceptible de constituer une source régulière de profits », alors même qu’ « il n’est pas nécessaire qu’il soit susceptible de faire l’objet d’une cession pour pouvoir être qualifié d’actif incorporel » et qu’une autorisation administrative peut être regardée comme un « élément de patrimoine au regard du droit comptable ».

Il faut rappeler qu’il ne s’agit pas ici de rechercher la valeur économique du nom du site, mais de qualifier juridiquement l’ensemble des flux attachés à cet actif ainsi considéré comme reconnu.

La notion juridique du droit de propriété est ici largement dépassée.

Décomposer la valeur du terrain d’une construction acquise en centre-ville : une vaste question à décortiquer !

La réforme comptable de 2005 a notamment introduit l’obligation de décomposer les actifs acquis ou créés, dès lors que les durées de vie des composants sont différenciées (avec des remplacements en cours de vie) dès lors que les composants représentent une partie considérée comme significative de l’ensemble. Fiscalement, l’Administration retient un seuil pratique d’identification de 15 %% (par rapport à la valeur totale) pour les biens meubles et de 1 %% pour les immeubles (voir BOI-BIC-CHG-20-10-10-90).

Dans son arrêt n° 10PA04571 du 1er mars 2013, la Cour Administrative d’Appel de Paris analyse la question traditionnelle et historique de la décomposition en cas d’achat de bien immobilier entre le terrain (non amortissable) et les constructions (à amortir sur leur durée probable de vie, outre la décomposition entre les composants utiles avec application de la règle pratique des 1 %% comme indiqué). Jusqu’à la réforme 2005, il était admis en général une reconnaissance de valorisation du terrain pour environ 10 %% de la valeur totale. Dans le cas d’espèce, la Cour a validé la position administrative estimant la quote-part du terrain (à Paris 8é), sur une base calculée à partir de comparaison, entre 38 %% et 45 %% de la valeur totale du prix (2).

La règle économico-comptable est ainsi reprise, développée, perfectionnée, et… utilisée par l’Administration pour procéder aux corrections

Importants travaux de peinture sur panneaux recouvrant un bâtiment : l’accessoire suit le principal !

Dans l’arrêt n° 351928 du 13 février 2013, le Conseil d’Etat précise que les « achats d'importantes quantités de peintures et de diluants effectués par la société (…) avaient été utilisés sur des panneaux de bois de grande dimension, destinés à recouvrir les bâtiments (…), et devaient être rattachés à des investissements d'une durée probable d'utilisation de plus d'un an ».

Cette position classique (basée sur la notion de prolongation de la durée de vie), prise sous l’égide des anciennes règles comptables, est maintenue dans le cadre de la normalisation comptable post 2005, sous réserve de considérer que les anciennes peintures ainsi recouvertes doivent faire l’objet d’une mise au rebut, afin de ne conserver à l’actif que les seuls travaux récents en tant que composant identifié et amorti sur sa durée de vie. La méthode de détermination de la valeur sortie est commentée par l’Administration par référence aux règles comptables, savoir (voir BOI-BIC-CHG-20-20-20-150) une reconstitution (valeur brute et amortissements) « selon une méthode rationnelle et cohérente, lorsque le prix d’origine de l’élément remplacé ne peut être déterminé avec précision », à défaut de pouvoir utiliser la méthode simplifiée réservée aux petites entreprises de considérer que le coût sorti correspond au coût entré.

La notion de PME était définie par référence au décret du 29 novembre 1983, abrogé le 25 mars 2007. On peut raisonnablement considérer qu’il s’agit des petites entreprises qualifiées comme tel par le décret 2014-136 du 17 février 2014, savoir celles qui ne dépassent pas pendant deux exercices successifs deux des trois critères suivants :

  • total de bilan : 4 millions €
  • total de chiffre d’affaires : 8 millions €
  • effectif : 50 salariés.

Travaux de dallage sur un emplacement d’occupation temporaire : c’est un actif, … même pour 811 € !

Là aussi, le Conseil d’Etat dans son arrêt n° 340349 du 13 novembre 2013 retient une qualification traditionnelle pour la reconnaissance d’un actif, même si le commerçant « n’avait qu’un droit d’occupation précaire et révocable », avec mise en œuvre des amortissements sur la durée de vie concernée.

On peut relever que dans l’affaire en cause (datant de l’année 2002), le montant des travaux de dallage représentait une somme de … 811,03 € !

On peut relever que le montant considéré était modeste et les travaux ont été considérés largement temporaires. La règle de simplification permettant d’imputer en charges des investissements jusqu’à 500 € ne pouvait néanmoins pas s’appliquer, puisque l’administration limite son application aux cas de petits matériels et outillages, matériels et mobiliers de bureau (hors investissement initial, et meubles modulables dont le prix global excède la limite) et logiciels (voir BOI-BIC-CHG-20-30-10-30).

Mais il y a bien longtemps que le plafond fiscal historique des 3.000 francs, devenus 500 € lors du passage à l’euro, n’a pas été revu et il est sans doute dommage, pour des raisons pratiques et de simplification, qu’il ne soit pas applicable à l’ensemble des dépenses concernées par la distinction actif / charges.

Travaux de mise en conformité : un complément de valeur d’actif, même en l’absence de marché secondaire

L’arrêt n° 11PA02145 de la Cour Administrative d’Appel de Paris du 28 novembre 2012 porte qualification de complément de valeur d’actif pour des travaux de mise en conformité de remorques destinées à l’hébergement du personnel technique d’un cirque, ces dépenses ayant entraîné un accroissement du volume et de la surface habitables. Il est pris en compte l’importance (plus de 457.000 €) et la nature des travaux engagés (aération, électricité, finition, lavabos, portes, fenêtres, planchers, etc.), sans retenir le fait qu’il ne s’agit pas d’adaptation à des normes récentes et sur l’absence a priori de marché de revente de telles remorques.

Même si l’affaire concerne l’exercice 2003, antérieur à la réforme 2005, on relève que c’est l’usage même pour l’entreprise qu’il faut appréhender pour opérer la distinction charge / immobilisation, afin d’apprécier la « valeur économique positive » des dépenses entraînant la qualification d’actif.

Là aussi, les nouvelles règles entraînent l’analyse des éventuels composants anciens à sortir de l’actif dans le cadre d’une mise au rebut, et la définition d’une durée d’amortissement des nouveaux travaux en adéquation avec la durée de vie réelle des agencements neufs.

Ces exemples montrent que la connexité entre comptabilité et fiscalité est très forte sur la délicate question entre un actif et un élément de frais. Si les critères patrimoniaux de durabilité et de cessibilité existent toujours, l’analyse à opérer dit être plus fine notamment au regard du nouveau critère de valeur économique positive, qui fait évoluer le droit vers la finance, même si la jurisprudence basée sur les nouvelles règles comptables 2005 n’est pas encore très fournie à ce jour. Il convient néanmoins de veiller à rester raisonnable et prudent. Toute dépense n’est pas constitutive d’un actif. En outre, il faut adapter, si besoin, les durées d’amortissement afin de bien appréhender la consommation économique réelle dans un monde où ‘tout’ va très vite, outre la nécessité d’opérer les éliminations des anciennes valeurs qui sont remplacées par les nouveaux travaux ou compléments. Au plan strictement pratique, il apparait très souhaitable de permettre d’étendre la règle de simplification des 500 euros, d’une part sur un périmètre couvrant l’ensemble des questions de distinction charges / immobilisations et d’autre part par une augmentation significative dudit seuil permettant de sécuriser et simplifier les traitements comptables et fiscaux des entreprises.

Sur certains aspects, on sait que la comptabilité est aussi un art ; et comme le disait Paul Klee (in Variété), « l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». A charge donc pour les comptables et les fiscalistes, de mettre en évidence les seules et vraies immobilisations dans les bilans des entreprises.

Renvois

(1) International accounting standards, international financial reporting statements ; voir notamment « le bonheur est-il dans l’IAS ? » par Eric Delesalle, FiD Edition

(2) Le contribuable ayant retenu dans le cas d’espèce des taux entre 24,66 %% et 16,17 %% pour la valorisation de la partie « terrain ».

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