Pascal Eydoux, président du CNB, a ouvert cette journée de formation en rappelant que si l’avocat dispose de tous les atouts pour répondre aux besoins de droit des entreprises, il ne sait pas toujours exploiter ses forces pour se rendre indispensable. Le sujet de l’entreprise est passé d’un sujet simple et technique pour le CNB à « un sujet irritant, pénible et polémique », et « c’est bien dommage », déplore Pascal Eydoux. La profession d’avocat, qui a trop longtemps voulu ignorer les termes « marché » et « concurrence » selon son représentant, se réveille. « Nous avons toujours eu l'orgueil de notre déontologie, mais nous avons eu tort ». Elle souhaite faire bouger les lignes et s’imposer auprès des sociétés, notamment par le biais de l’interprofessionnalité (lire encadré).
Pour Fanny Dombre-Coste, députée de l'Hérault et membre de la commission affaires économiques de l'Assemblée nationale, les avocats doivent nécessairement travailler sur leur langage et leur communication afin que les chefs d'entreprise puissent les identifier comme des partenaires essentiels, même indispensables, au développement de leur business.
De fait, l’avocat n’est pas seulement un sachant du droit. Dans notre environnement en pleine mutation, il ne dispense pas uniquement de l’information juridique, devenue universellement accessible, mais accompagne la prise de décision, élabore des stratégies, offre un service d’ingénierie juridique et protège dans l’adversité.
Les tables rondes et discussions ont invité les avocats à sortir de leur cabinet pour aller à la rencontre des entrepreneurs, à ne pas hésiter à communiquer sur leur valeur ajoutée et être plus transparent quant à leurs honoraires. Car les avocats ont une compétence indéniable dans des matières en plein essor pour les entreprises, comme la compliance et la RSE (responsabilité sociétale et environnementale).
Leïla Hamzaoui, présidente de la commission droit et entreprise du CNB, a dressé la synthèse des travaux de la matinée en commençant par évoquer que la situation ne va pas si mal, car « dans un marché très concurrentiel, nous avons de nombreux atouts dont la confiance de nos clients ». Cependant, l’avocate a justement rappelé que c’est aux avocats de saisir l’opportunité de devenir le conseiller privilégié des entreprises. « Ces tables rondes étaient faites pour vous faire prendre conscience d’un certain nombre de terrains où soit nous sommes concurrencés mais où nous avons une valeur ajoutée, soit nous ne sommes pas concurrencés, avec la connaissance des usages des entreprises par exemple. »
Ce qui paraît très important à Leïla Hamzaoui est qu’il faut impérativement investir le champ du soutien au chef d’entreprise. « A l’occasion des travaux que nous menons avec le CNB, la CCI France nous a fait remarquer qu’en Angleterre, toutes les entreprises, même petites, ont un conseil qui est avocat. » Force est de constater que c’est loin d’être le cas en France. Le champ du conseil et de l’ingénierie de l’entreprise, « ce supplément d’âme qu’est l’accompagnement, qui ne peut pas être automatisé », n’a pas encore été totalement investi par le barreau.
Xavier Hubert, conseiller juridique auprès du ministère de l’Economie, fait le même constat. Il conseille aussi aux avocats d’investir les champs développés dans la matinée, notamment celui de l’éthique en entreprise, et d’affirmer leur domaine de compétences.
« A chaque fois que nous sommes en rapport avec les pouvoirs publics et les entreprises, ils nous disent qu'ils ont à travailler avec nous.Nous avons la confiance, la compétence et la qualité, à nous de nous en saisir, de nous l’approprier et d’oser ! » Leïla Hamzaoui
L'avocat face aux attentes des entreprises
Quels sont les enjeux auxquels sont confrontés les avocats dans leur accompagnement de l’entreprise, face à leurs concurrents et aux nouveaux acteurs sur le marché du droit ? Comment s’adapter à un environnement en pleine mutation ? Qu’attendent les dirigeants d’entreprise de leur avocat ?
Les intervenants de la première table ronde ont apporté des réponses concrètes à toutes ces questions, en commençant par Louis-Georges Barret, avocat au barreau de Nantes, spécialiste en droit du travail, mais surtout président de l’observatoire du CNB, qui a présenté les résultats de l'enquête « PME & avocats ». Après la projection d’un film sur ce que pensent les dirigeants de PME de leurs conseils, l’avocat a fait ressortir de l’étude le positif (confiance, compétence, qualité du travail) et le négatif (honoraires, disponibilité). Les éléments d'insatisfaction formulés par les dirigeants de PME tournent toujours autour de la méconnaissance du monde de l'entreprise par l’avocat, et de l’imprévisibilité des facturations d’honoraires. « La convention d'honoraires obligatoire instaurée par la loi Macron est un avantage qu'il faut présenter et commercialiser », commente Louis-Georges Barret. Dominic Jensen, conseil en organisation et stratégie des cabinets d’avocats, donne un exemple concret d’un cabinet de niche qui présente ses honoraires à ses clients en une phrase sèche, sans justifications. « Il faut être davantage pédagogue pour que le client puisse comprendre qu'il a intérêt à mettre le prix pour ce type de prestation à grande valeur ajoutée », explique l’expert, qui conseille d’adopter une logique budgétaire. Leila Hamzaoui propose ainsi de faire signer aux clients des conventions-cadre de fixation d'honoraires en début d'année, par rapport aux actes et conseils de l'année précédente.
Pascal Eydoux intervient en soulevant, par la métaphore sur les grandes surfaces comparées aux petits commerçants, que la structure individuelle ou collective des cabinets a un impact très important sur la fixation des honoraires. Les avocats qui travaillent en cabinet individuel ne peuvent pas faire de « ventes à perte », souligne-t-il, clin d’œil à l’interprofessionnalité.
Louis-Georges Barret déduit de l’étude qu'il faut développer les capacités de conseils et personnaliser son approche vers les entreprises (aller sur place, parler stratégie, justifier longuement la facturation de ses actes).
Pour Dominic Jensen, expert de la commission droit et entreprise du CNB, il faut « développer la question de la valeur ajoutée » de l’avocat en tant que partenaire essentiel de l’entreprise. « C'est là qu'il faut conquérir pour maintenir la profession », car les entreprises représentent entre 65 et 70 %% du chiffre d'affaires de la profession d'avocat. « Un aspect macroéconomique essentiel », rappelle ce professionnel. Un rapport sur la régionalisation des réseaux de travail et des réseaux transmettre et reprendre, établi par un comité de pilotage donc le CNB fait partie, va ouvrir des perspectives aux avocats partout en France, se réjouit Leïla Hamzaoui.
L'avocat et les usages de l'entreprise
Comment l’avocat, par sa connaissance de l’entreprise et par sa pratique du droit, peut-il jouer
un rôle primordial dans leur identification et leur mise en œuvre au bénéfice de ses clients ? Par la mobilisation des usages, répond le professeur agrégé Pierre Mousseron. Les usages des entreprises sont des pratiques bénéficiant d'une force juridique. Par exemple, les pourboires, les clauses usuelles et les méthodes d'évaluation de prix ou d'indemnités sont des usages. Ces derniers se retrouvent dans les entreprises et ont une place officielle dans notre droit commercial. Les délais à respecter en matière de rupture des relations commerciales, qui diffèrent selon les secteurs d’activité, en sont une autre illustration très importante.
Le professeur explique qu’il y a plus de dix références aux usages dans la partie du code civil relative au droit des contrats. « Pourtant, c'est aujourd'hui un angle mort de la prestation juridique, alors qu'ils ont un rôle important ». Les usages ont une proximité avec l'entreprise plus immédiate que la loi, ils peuvent donc représenter une mine d’or pour le barreau d’affaires. Connaître les usages au sein d'une entreprise mérite une sorte d'audit et doit être une priorité pour ces avocats. C’est pour les aider que ce professeur à la faculté de droit de Montpellier a créé un institut et une bibliothèque des usages.
L’avocat Guillaume Flambard, lui en est reconnaissant car cette bibliothèque innovante pour lui permet d’exercer sa profession en fonction de la loi mais aussi des usages des différents secteurs commerciaux, surtout dans sa spécialité. « Dans les NTIC, nous avons l'opportunité de mettre en évidence la reconnaissance d'usages ». Par exemple, dans les contrats clé en main ou de fourniture de service complexe, le fournisseur a une obligation de résultat.
« Dans mon entreprise, qui est dans le secteur de l'hôtellerie, on utilise beaucoup d'usages par nature! », notamment dans la mobilité des employés, illustre Marie-Claire Bizot-Gregorry, conseiller spécial du groupe Accor. Lorsqu’elle revêt ses habits de juge consulaire au tribunal de commerce de Paris, elle reste très prudente et conseille aux professionnels d'aller consulter les usages de leur secteur dans la bibliothèque ad hoc du professeur Mousseron.
En revanche, les contrats n'étant pas toujours très clairs, il est possible pour les juges d'interpréter ceux-là au regard de certains usages connus. Elle plaisante sur les usages corses, souvent invoqués.
Avocat, RSE et éthique de l'entreprise
Pourquoi les avocats sont-ils bien placés pour intervenir auprès des entreprises sur les questions de RSE et de compliance ?
Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris, expert de la commission droit et entreprise du CNB, souhaite sensibiliser ses confrères aux opportunités de missions pour l'avocat conseil de l'entreprise engagée dans une démarche de responsabilité sociétale et environnementale (RSE). « Ce marché nous tend les bras ». Notamment en droit pénal, car le juge pénal prend de plus en plus de place dans le contrôle des politiques RSE des sociétés françaises. L’avocat prend les exemples des plaintes contre Auchan sur le terrain des pratiques commerciales trompeuses (scandale de la sous-traitance au Bengladesh), contre Samsung France (qui s'est engagé à prohiber le travail des enfants et qui continue d’avoir des sous-traitants chinois qui emploient des mineurs). L'affaire Ikea, de suspicion de surveillance illicite de ses salariés, en est une parfaite illustration. L’avocat assure que depuis, Ikea a développé une politique de prévention des risques avec des actions et des protocoles visant à revoir le système de délégations de pouvoirs, revivifier le comité éthique, faire des formations spécifiques sur le risque pénal et la protection des données etc.
Stéphane Hessel disait déjà il y a dix ans que les entreprises devaient s'occuper des droits de l'Homme, rappelle Michèle Tisseyre, présidente de la commission communication institutionnelle et membre de la commission droit et entreprise du CNB. Cette avocate souhaite développer la RSE dans les petites entreprises, car c’est à la fois de l'éthique mais aussi une façon de sécuriser son parcours, ses relations avec le partenaires (fournisseurs, salariés, consommateurs, public...) et donc sa démarche commerciale.
« La RSE est la réponse des entreprises au développement durable », selon Pascale Thumerelle, directrice de la RSE chez Vivendi. Sa responsabilité est de pousser l’entreprise à se connaître, accompagner la performance économique du groupe et mesurer l'impact écologique sur la société. Ce qui caractérisait Vivendi est la production et la diffusion de contenus, elle doit ainsi faire attention à la diversité culturelle des contenus (éviter la pollution des cerveaux), et veiller à la protection et l'accompagnement de la jeunesse.
La RSE, a pour support l'éthique et relève de la compliance pour l’ancienne bâtonnière de Paris, Dominique de la Garanderie. La spécialiste du droit du travail explique qu’on assiste tous les jours à des exemples de l'impact de la RSE des grandes sociétés. Cela peut les ruiner si les engagements RSE ne sont pas respectés (Volkswagen, H&M...). Elle note une volonté des entreprises de s'organiser autour des questions éthiques et de RSE. L'ancienne bâtonnière s'étonne d’ailleurs du fait que l'éthique n'arrive qu'en cinquième position dans l'enquête « TPE & avocats ». Les règles sont désormais internationalisées. « Il y a une quantité de textes, dont certains peuvent, au-delà du décret de 2012, concerner les sous-traitants à l'étranger ». Comment contrôler l'application des règles de RSE ? Aujourd’hui, c'est le commissaire aux comptes qui établit ce contrôle, ou bien des conseils indépendants reconnus par un organisme. A l’image de l’esprit de ces 6e états généraux du droit de l’entreprise, Dominique de la Garanderie souhaite qu'une action de lobbying soit menée afin que les avocats puissent être reconnus comme contrôleur de l'application des politiques de RSE.
La journée s’est poursuivie par deux sessions d’ateliers pratiques pour former le barreau d’affaires sur la réforme du droit des obligations, la responsabilité de l’avocat en matière de blanchiment, la réforme du droit du travail, la RSE, la fiducie, ainsi que sur la médiation et la procédure participative en droit des affaires. Etaient aussi proposés des ateliers dédiés à l’actualité juridique, notamment celle du droit des sociétés, de la fiscalité des sociétés, dirigeants et actionnaires (IS, IR, ISF) et des procédures fiscales, et l’actualité des procédures collectives. Enfin, les participants ont pu assister à un « business coaching » intitulé « stratégie digitale, communicat