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Jérôme Gavaudan : « La Conférence des bâtonniers prône une profession moderne »

Bâtonnier du barreau de Marseille de 2011 à 2012, Maître Jérôme Gavaudan a été élu président de la Conférence des bâtonniers, le 24 novembre 2017. Il vient de succéder à Yves Mahiu avec la volonté de s'inscrire dans la continuité et de défendre la profession et sa déontologie.
Jérôme Gavaudan : « La Conférence des bâtonniers prône une profession moderne »

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Pour quelles raisons êtes-vous devenu avocat ?

Je ne connaissais personne dans la profession. J'ai fait des études de droit à Marseille et Aix. Quand j'étais étudiant, je n'osais pas me dire qu'un jour je deviendrai avocat, cela me fait rire retrospectivement. C'était tellement beau pour moi. J'avais l'impression que je n'y arriverai jamais. Aujourd'hui, j'exerce cette profession dans ce beau barreau de Marseille.

C'était logique de devenir bâtonnier de Marseille ?

On m'a toujours appris à m'engager et à prendre mes responsabilités. C'est de la saine ambition d'assumer ce que l'on est en capacité de faire, dans un souci d'investissement collectif. Il y a un mélange d'ambition personnelle et de service. Je reconnais volontiers la part d'ambition, mais ce qui m'a toujours motivé, c'est plutôt le service. J'ai été plusieurs fois au Conseil de l'Ordre. Et puis, il y a cette alchimie, un jour, on vous repère et l'ancien bâtonnier vous propose d'être à la tête de l'Ordre. C'est comme ça que l'envie se crée et que la réussite appelle la réussite.

C'est la même mécanique qui vous a conduit à la présidence de la Conférence des bâtonniers ?

C'est exactement la même mécanique. En tant que bâtonnier de Marseille, de 2011 à 2012, je me suis investi à la Conférence, puis à deux reprises au Conseil national des barreaux (CNB), qui est l'institution nationale de la profession. Mon parcours est un peu atypique : je n'ai jamais été au bureau de la Conférence des bâtonniers et je viens du CNB. Il s'agit de deux institutions différentes mais pas opposées. J'ai ressenti cette volonté de servir les Ordres et les bâtonniers. Je revis cette fonction, que je prends depuis quelques semaines, avec le même bonheur que le bâtonnat à Marseille.

Quelles sont les grandes missions de la Conférence des bâtonniers ?

La Conférence, c'est l'institution dans laquelle se regroupent tous les bâtonniers en exercice : 162 barreaux, sauf Paris. Sa mission essentielle est de porter la voix des bâtonniers, des Ordres et des Conseils de l'Ordre. Elle a une vocation de service aux Ordres et aux bâtonniers, d'information, de formation, de veille déontologique, de communication spécifique de ce que sont les Ordres au niveau national. Elle assure aussi une mission de représentation des valeurs de l'ordinalité, sans être en concurrence avec l'institution représentative de la profession qu'est le Conseil national.

Quelles relations y a-t-il entre le CNB et la Conférence des bâtonniers ?

Elle est complémentaire mais pas concurrente du CNB. Elle est à l'intérieur du CNB avec ses élus. Il y a même un groupe réservé à l'ordinalité de 24 membres, au sein du Conseil. C'est presque un quart du CNB. Pour moi, les choses sont claires. C'est pour cette raison que j'ai grand plaisir à animer cette institution, à la faire vivre.

Quelles sont vos priorités ?

Dans ce type de fonction, avec des mandats courts de deux ans, il faut rester modeste et à sa place. Pas de fausse modestie, mais de l'humilité. On s'inscrit dans la Conférence, comme dans le bâtonnat, c'est-à-dire dans ce qui a été fait et se fera. Ma priorité est de poursuivre l'amélioration des services donnés aux bâtonniers, comme la formation, de les aider dans leur communication externe, vis-à-vis des Pouvoirs publics, et interne dans leur barreau. C'est l'amélioration de la profession. On peut continuer à s'améliorer. Je veux aussi les aider dans le combat de la sauvegarde de leur juridiction.

Justement, dans votre fonction, il y a aussi un rôle « politique ». Comment l'envisagez-vous ?

Il y a effectivement un aspect plus politique. La conférence doit porter la voix des barreaux au sein du Conseil national et auprès des Pouvoirs publics.

À ce sujet, le projet de nouvelle carte judiciaire vous inquiète-t-il ?

Nous sommes très inquiets à propos des cinq chantiers lancés par Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, notamment sur la réorganisation de la carte judiciaire (lire encadré en page 6). Nous avons l'impression que les Pouvoirs publics n'avaient pas véritablement de feuille de route donnée aux personnalités chargées de faire des propositions. Avec Yves Mahiu, mon prédécesseur, nous avons rencontré Nicole Belloubet le 14 décembre dernier. La ministre a eu un discours rassurant. Elle a levé un certain nombre d'ambiguïtés. Quand elle a évoqué l'absence de suppression de site, elle voulait en réalité parler de juridiction. Cétait important de le préciser.

Que ferez-vous dans les prochains jours ?

Nous resterons vigilants… Ensuite, nous aviserons.

Comment jugez-vous le Gouvernement Macron ?

On a souffert d'une absence de visibilité sur les orientations du Gouvernement en matière de justice. Ce manque de visibilité n'est pas fait pour rassurer… On n'a pas de visibilité sur la carte judiciaire, même si les choses se précisent un peu. On n'a pas de visibilité sur la vision de la profession du Gouvernement jusqu'à présent. Pendant la campagne, Emmanuel Macron évoquait régulièrement l'avocat en entreprise. Est-ce que le Gouvernement va en reparler ? En revanche, Nicole Belloubet a été à l'écoute, réfléchie et sans a priori.

Comment voyez-vous le rôle d'un bâtonnier aujourd'hui ?

On s'aperçoit que sur le plan économique, le maillage territorial est nécessaire. L'existence d'Ordres locaux, organisés autour d'un barreau, est essentielle pour le développement économique certain de la profession d'avocat. Dans une époque où l'on parle de dérégulation, de contestation de l'autorégulation de la profession par les Ordres, on s'aperçoit à l'inverse qu'une profession réglementée est nécessaire. Les principes essentiels de la profession d'avocat s'organisent autour des Ordres et autour du bâtonnier : le secret professionnel, l'indépendance, la gestion du conflit d'intérêts…

Toutes ces choses, dont est garant le bâtonnier, sont des éléments de plus-value de la profession d'avocat. Nous nous insurgeons contre ceux qui pensent qu'un avocat vaut une legaltech et que pour faciliter les échanges économiques, les règles déontologiques devraient disparaître au profit du tout économique. La valeur ajoutée d'une profession qui reste moderne et attachée à ses principes, et donc aux Ordres, est importante. La Conférence des bâtonniers prône une profession moderne. Elle n'est pas opposée aux évolutions et veut favoriser le numérique et la communication électronique.

Le développement du numérique doit-il remettre en cause les juridictions ?

Quand on parle de supprimer une juridiction parce qu'elle communique de façon électronique, où est la modernité ? Le justiciable a besoin d'une justice rendue dans un territoire. J'entends beaucoup les gens dire qu'avec l'électronique, le numérique, les juridictions doivent disparaître. Je ne vois pas le rapport. L'électronique n'est pas une fin, c'est un moyen. Ceux qui prônent une évolution de la profession vers moins de règles se trompent. Les avocats se sont toujours adaptés, ils sont des acteurs économiques essentiels d'une cité. Ils restent modernes dans leur façon de travailler et savent s'adapter en investissant de nouveaux champs d'activité.

Que pensez-vous des incubateurs développés par certains barreaux, comme Marseille, Paris ou Lyon, par exemple ?

C'est merveilleux. Le bâtonnier Geneviève Maillet, à Marseille, est l'exemple type de la façon dont les Ordres peuvent accompagner la profession sur le chemin de la modernité, du développement des idées de l'économie et de l'évolution de la profession. En parlant d'évolution de la profession, Christiane Féral-Schuhl a été élue à la tête du CNB. La Conférence a changé ses statuts, en novembre, pour faire plus de place aux avocates.

C'est important pour la profession cette féminisation ?

Pour la Conférence, c'était important sur le plan symbolique. Sur le plan technique, la Conférence est une association qui n'a pas d'obligation de se conformer à la loi sur la parité. Et donc, c'est une volonté de montrer que la Conférence accompagne ce mouvement de parité et le fait sans y être contrainte. J'ai été heureux de ça, et encore plus lors de mon élection à Strasbourg. Si la profession se féminise, il faut que les avocates accèdent à des postes à responsabilité.

L'Assemblée générale statutaire

Après avoir vanté les vertus de l'ordinalité, lors de la récente assemblée générale statutaire de la Conférence des bâtonniers, Jérôme Gavaudan est revenu sur l'actualité de la profession, à l'aune des chantiers de la Justice entamés par la garde des Sceaux.

Nicole Belloubet a, en effet, évoqué récemment une nouvelle période de concertation que le président de la Conférence des bâtonniers compte mettre à profit pour examiner avec ses confrères le périmètre et les contours exacts des réformes annoncées : « Le chantier qui nous mobilise le plus est celui de l'adaptation du réseau des juridictions. Qu'on le veuille ou non, c'est celui de la carte judiciaire ! Nous avons pris acte que les rapporteurs ont suggéré le maintien de toutes les cours d'appel avec à leur tête, un Premier président et un procureur général. Nous avons également pris acte des propositions de maintien de toutes juridictions de première instance mais nous sommes désormais plus qu'attentifs à ce que ces propositions ne soient pas un simple affichage ou un effet d'annonce anesthésiant. » Pour Jérôme Gavaudan, « Des questions se posent ! » : « Selon quels critères seront répartis les litiges du quotidien et les litiges dits complexes dans lesquels la représentation de l'avocat serait obligatoire ? Que signifie la notion de “nouvelle répartition des contentieux civils et pénaux entre les tribunaux de proximité et les tribunaux judiciaires selon un principe dit de ‘‘proximité spécialité” ? Selon quel critère sera désigné le tribunal judiciaire départemental qui aura un rôle de coordination et d'animation ? »

Sortir du « tout prison »

En matière pénale, le président de la Conférence des bâtonniers « salue la volonté affichée de sortir du “tout prison” et de promouvoir des peines alternatives. Il en va de la sécurité des personnels pénitentiaires et de la dignité de notre système carcéral ». Sans remettre en question les efforts des services d'enquêtes dans le contexte terroriste, il exprime néanmoins quelques craintes : « (…) Notre souci est simplement, comme avocat, comme bâtonniers, de dire ici que nous regrettons un tournant sécuritaire sans renforcement des droits de la défense. Nous serons toujours là pour rappeler avec fermeté : que le contradictoire est nécessaire ; que les droits de la défense sont fondamentaux et les garants des libertés individuelles ; que tout individu, quel que soit ce qui lui est reproché ou sa situation, doit être présenté à un juge pour toute mesure contraignante. »

L'aide juridictionnelle

Jérôme Gavaudan s'est également exprimé sur le chantier de l'aide juridictionnelle, venant tout juste de remettre les premières propositions de la Conférence des bâtonniers à la mission d'inspection : « Nous avons élaboré des propositions pour enfin permettre une digne rémunération des avocats dans le cadre de l'aide juridictionnelle. Des pistes sont proposées : taxation des actes juridiques, droit payé par la partie qui succombe, recherche de financement auprès des compagnies d'assurances de protection juridique ou encore exonérations de charges ou de fiscalité sur le chiffre d'affaires réalisé au titre de l'aide juridictionnelle. (…) C'est un dossier que nous portons et qui doit désormais aboutir. »

Jean-Paul Viart

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