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Jean-Luc Flabeau: l'audit légal règle ses comptes

Associé du groupe d'expertise-comptable Fidéliance, notamment implanté à Fontainebleau, Jean-Luc Flabeau est également le président fraîchement réélu à la tête de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes (CRCC) de Paris. Au fait de l'actualité économique seine-et-marnaise, il est actuellement vent debout contre la transposition de la réforme européenne de l'audit. Il milite par ailleurs pour une meilleure reconnaissance de la profession.
Jean-Luc Flabeau, président de la CRCC de Paris.
© DR - Jean-Luc Flabeau, président de la CRCC de Paris.

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Le Moniteur de Seine-et-Marne: Commençons par un tour d'ho­rizon seine-et-marnais. Quels sont les actions et les projets des commissaires aux comptes dans le département ?

Jean-Luc Flabeau: La mission de la CRCC de Paris est d'aller vers les confrères, à Paris comme en Île-de-France. Nous menons donc périodiquement des animations de secteur que nous déclinons dans les dépar­tements, notamment la Seine-et-Marne. Plus on s'éloigne de la capitale, plus cette démarche est appréciée. J'ai demandé aux élus qui s'occupent de ces animations de secteur de réfléchir à un for­mat encore plus attractif pour réunir davantage de confrères. En Seine-et-Marne, en tant que président de l'institution et Seine-et-Marnais, j'interviens au moins trois fois par an. Outre un ensemble de formation, deux as­semblées sont également organi­sées chaque année, en juin et en décembre, notamment celle des experts-comptables où je traite les sujets d'actualité.

Grâce à sa réserve foncière, la Seine-et-Marne reste un département dynamique qui se développe.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: La Compagnie régionale des commissaires aux comptes est-elle bien représentée en Seine-et-Marne ?

J.-L. F. : Il y a 151 commissaires aux comptes en Seine-et-Marne, sur les 3 000 membres que compte la CRCC de Paris. Par ailleurs, 3 100 entités seine-et-marnaises sont soumises au contrôle légal d'un commissaire aux comptes, parmi lesquelles quelque 2 800 sociétés commerciales, dont 317 SARL, 2 046 SAS et 381 SA. Le département voit également 233 associations faire l'objet d'un contrôle légal. Nous avons par ailleurs, marginalement, quelques fondations, GIE et organismes mutualistes.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: Comment se portent les entre­prises seine-et-marnaises ?

J.-L. F. : La Seine-et-Marne est actuel­lement en mutation. Les zones d'activité évoluent. Il y a une trentaine d'années, c'est surtout le Sud du département qui se développait. Aujourd'hui, les choses se sont inversées. C'est plutôt le Nord – avec Marne-la- Vallée et la partie Seine-et-Mar­naise de Roissy – qui s'émancipe. Concernant la santé des entre­prises, il est difficile de dire que nous vivons un réel rebond éco­nomique. De ma petite lorgnette de praticien seine-et-marnais, j'aurais tendance à penser que l'activité est quand même un peu plus soutenue, notamment dans le bâtiment. Il y a néanmoins des secteurs qui continuent à souffrir. L'analyse est complexe car beau­coup d'entreprises fonctionnent en mode « gestion de crise », avec l'emploi et les frais généraux comme variables d'ajustement.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: Vous venez, par ailleurs, d'être réélu à la présidence de la Com­pagnie régionale des commis­saires aux comptes de Paris. Comment envisagez-vous la continuité de votre action ?

J.-L. F. : J'ai, en effet, été réélu pour deux ans à la présidence de la CRCC de Paris. Jusqu'à la fin de mon man­dat, je vais continuer ce que j'ai initié durant les deux dernières années, à travers quatre axes prin­cipaux de mandature qui com­plètent le travail déjà accompli.

Tout d'abord, je persiste à consi­dérer que la réforme européenne de l'audit est globalement mau­vaise, à la fois pour les profession­nels et pour les entreprises. Le curseur de la régulation est allé bien trop loin !

Je vais donc continuer à m'élever contre cette réforme, avec l'aide d'autres présidents de compa­gnies régionales, pour tenter de la faire évoluer plus favorablement. Nous devons rapidement intro­duire des mesures d'assouplis­sement, à la fois dans les textes européens mais aussi dans la transposition de cette réforme de l'audit dans notre droit national. Les difficultés d'application ne vont pas tarder et j'espère bien qu'elles aideront notre tutelle à être plus clairvoyante. Voilà le premier axe de ma mandature. Le deuxième est en lien avec l'aide apportée aux quelque 3 000 pro­fessionnels du ressort de la CRCC de Paris, qui est la plus importante des 33 compagnies régionales. Cette mandature est la première post-réforme et les cabinets vont devoir s'adapter à de nouvelles règles qui peuvent provoquer des impacts sur leur activité. Nous souhaitons accompagner au mieux les professionnels, quelle que soit la typologie de leur ca­binet, notamment au niveau de la stratégie à mettre en place en matière d'audit légal. Troisième axe d'action, commencé lors de la précédente mandature, le travail sur notre environnement professionnel. Nous continuons à souffrir d'un déficit important d'image et de notoriété, vis-à-vis du monde judiciaire, du monde universitaire et même celui des entreprises. Il faut à tout prix que les missions des commissaires aux comptes soient mieux reconnues, et même mieux connues. Nous avons multiplié de nombreuses manifestations et rencontres avec des acteurs de notre environne­ment professionnel, mais reste tant de choses à faire… L'atout majeur de notre CRCC est d'être à Paris. Nous bénéficions d'une attention particulière des médias, à la fois nationaux et profession­nels.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: Quel est enfin le quatrième axe de travail de votre mandature ?

J.-L. F. : Ce quatrième et dernier axe concerne l'attractivité de notre profession. Le métier de com­missaire aux comptes sera fort et reconnu s'il est véritablement attractif. Or, ne nous cachons pas la réalité : la réforme européenne de l'audit et son carcan régle­mentaire ne vont pas nous aider à attirer de jeunes talents dans notre profession. Nous avons déjà des difficultés de recrutement, quelle que soit la taille des ca­binets. Aujourd'hui, nous avons pourtant besoin d'un renouvel­lement de générations. Beau­coup de confrères approchent l'âge de la retraite. Il faut donc trouver rapidement de nouveaux professionnels pour pérenni­ser les cabinets et les emplois. Beaucoup de nos cabinets sont pluridisciplinaires puisqu'ils déve­loppent à la fois des missions d'ex­pertise comptable et de conseils, puis des missions légales de com­missariat aux comptes. Une régle­mentation exacerbée sur l'activité d'audit légal fait aujourd'hui que beaucoup de jeunes profession­nels préfèrent s'investir dans les activités d'expertise comptable et de conseil. C'est ce que je constate dans mon propre cabi­net. Il faut bien comprendre que les jeunes professionnels, qui ont fait Bac + 7, n'aspirent pas à ne devenir que des « fonctionnaires de l'audit ». D'autant plus que les progressions d'activité sont plus faciles à réaliser dans l'exper­tise comptable et le conseil que dans l'audit légal. La publication récente des chiffres 2016 des grands réseaux confirme cette tendance et elle se généralise à l'ensemble des acteurs.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: Mais alors, avec ce constat assez sombre, que pouvez-vous faire pour l'activité de la profession de commissaire aux comptes ?

J.-L. F. : Paradoxalement plein de choses. La profession de commissaire aux comptes est au cœur des entreprises et présente de très nombreux atouts. C'est un métier passionnant et primordial pour la sécurisation de notre économie. Les jeunes générations sont très sensibles aux règles d'éthique et de transparence financière de la vie des affaires. Nos missions d'audit vont aussi connaitre une profonde modification dans leur approche grâce à toute la trans­formation numérique de notre économie et des entreprises. Notre profession offre tous ces atouts. Il faut simplement qu'ils ne soient pas gâchés par une sur règlementation.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: Pour mener les négociations sur la transposition de la réforme européenne de l'audit et de ses conséquences, la Présidentielle et les législatives sont-elles pro­pices ?

J.-L. F. : Oui, c'est effectivement un bon moment pour essayer de faire passer les messages. Au niveau de la compagnie nationale, je sais que Jean Bouquot, son président, avait prévu de sensibiliser des candidats.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: Qu'attendez-vous du futur pré­sident et des futurs parlemen­taires ?

J.-L. F. : L'audit légal est un vrai sujet qui mérite toute l'attention des Pou­voirs publics. C'est le maintien de l'audit légal dans les PME qui est en jeu. La compagnie nationale en est bien consciente. Je salue d'ailleurs l'initiative du président Bouquot qui a pour priorité ce qu'il appelle le « plan PE » –petite entreprise, ndlr. Je suis un repré­sentant du syndicat professionnel ECF, minoritaire à la compagnie nationale. Depuis plus de 10 ans, nous demandons la création d'un département PME à la compa­gnie nationale, à l'instar du dépar­tement EIP (entités d'intérêt pu­blic). Finalement, le syndicat ECF a été visionnaire, puisque Jean Bouquot a repris cette idée. C'est bien tard, mais mieux vaut tard que jamais.

Tous les confrères sont, par ail­leurs, conscients que nous de­vons rester très vigilants sur la pérennité de l'audit légal dans les PME, puisque, comme tout le monde le sait, nous avons en­core, aujourd'hui en France, des seuils plus bas que la moyenne européenn«e, en deçà desquels il n'y a pas d'audit légal obliga­toire : 8 millions de chiffre d'af­faires, 4 millions de total bilan, 50 salariés, avec dépassement de deux des trois seuils. Mais, fort heureusement, Bruxelles laisse à chaque Etat membre la liberté de déterminer ses propres seuils. En France, pour faire simple, mis à part quelques critères, l'inter­vention de commissaires aux comptes est obligatoire dans toutes les SA, dans les SAS à par­tir de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires et dans les SARL à partir de 3 millions de chiffre d'affaires. Même si aujourd'hui la chancel­lerie souhaite garder les seuils actuels, l'avenir reste néanmoins incertain sur ce sujet.

Nous devons défendre l'inter­vention des commissaires aux comptes dans les PME françaises. En fait, les seuils européens sont très généralistes et ne veulent pas dire grand-chose. Vous avez, notamment en Europe, des ty­pologies d'entreprises très dif­férentes d'un pays à l'autre. Si je fais la comparaison entre les deux voisins que sont la France et l'Allemagne, vous avez en pro­portion beaucoup plus de petites entreprises en France qu'en Alle­magne. Et, à l'inverse, beaucoup plus d'ETI Outre-Rhin. Si vous appliquez les mêmes seuils entre ces deux Etats, vous allez priver beaucoup plus d'entreprises fran­çaises, TPE et PME, de l'audit légal. Si nous généralisons en France les seuils européens, nous perdrons 140 000 à 150 000 des 220 000 mandats actuels. Pour la profes­sion, cette décision serait un véri­table tsunami. Il ne resterait à l'au­dit que le secteur non marchand et les grandes entreprises. Mais il faut aussi analyser, et c'est certai­nement le plus important, ce que seraient les conséquences d'une privation d'un audit légal dans les PME en matière de sécurisation économique et financière, de prévention des difficultés et des fraudes, de respect de la règle­mentation, etc.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: Cette décision de remonter les seuils ne serait-elle pas para­doxale face au désir de transpa­rence exprimé par les Pouvoirs publics, notamment à travers la loi Sapin II et la RSE ?

J.-L. F. : : Exactement. Nous sommes vrai­ment dans le paradoxe. Notre société demande aujourd'hui davantage de transparence, da­vantage d'équité, une approche environnementale... Nous n'avons jamais connu un tel niveau d'exi­gence. Un niveau d'exigence que seule notre profession avec ses 13 500 professionnels peut ap­porter à l'économie et ses en­treprises. Parallèlement, nous n'avons jamais eu une telle me­nace ou une telle incompréhen­sion de nos missions. Tout cela part d'une méconnaissance du rôle et des missions du commis­saire aux comptes. C'est le même paradoxe que j'évoquais à l'ins­tant pour l'attractivité de notre profession.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: Pouvez-vous rappeler briève­ment le rôle et ces missions d'au­dit légal ?

J.-L. F. : : Je n'aime pas aborder la notion de « valeur ajoutée » du com­missaire aux comptes. Je trouve qu'on trouble le jeu depuis des années, notamment à travers cette notion de conseil, ce qui, comme vous le savez, nous est interdit. En revanche, dans la PE, j'aime parler de la valeur ajou­tée des deux professionnels du chiffre, expert-comptable et com­missaire aux comptes, à condi­tion que ces deux professionnels montrent bien à leurs clients que leurs missions sont distinctes et complémentaires. L'expert-comp­table établit le bilan et dispense le conseil. Le commissaire aux comptes réalise l'audit, certifie les comptes et sécurise les données financières, mais prend égale­ment en charge toute la partie « intérêt général » à travers l'alerte –quand l'entreprise est en diffi­culté–, la révélation de faits délic­tueux, les délais de paiement, etc.

La conjugaison des missions de ces deux professionnels est aussi un moyen de lutter efficacement contre la fraude qui sévit sévère­ment dans les PME.

Le Moniteur de Seine-et-Marne: Le déficit d'image de votre pro­fession est-un réel handicap ?

J.-L. F. : : Encore une fois, notre profession n'est pas assez reconnue et nous avons notre part de responsabi­lité. Nous sommes encore trop souvent assimilés à un coût admi­nistratif pas forcément utile. Nous devons impérativement faire évo­luer cette idée reçue.

Il faut par ailleurs que la pro­fession, avec le H3C, donne de nouveaux gages, en adaptant parfaitement l'audit à la PME. La norme dite « PE » constitue une première avancée, mais elle reste bien insuffisante. Nous devons vraiment proportionner l'audit, ce que nous n'avons jamais su vrai­ment faire, et vraiment faire savoir. L'Europe a été meilleure que nous. Elle est très claire et moderne sur ce point. Dans sa réforme de l'audit, elle détermine les trois niveaux d'intervention. D'abord entre les EIP –les entités d'intérêt public, ndlr– et les non EIP. C'est à présent à la France de montrer sa capacité à proportionner l'audit. Et c'est à la profession et ses ins­tances d'être de véritables forces de proposition sur la proportion de l'audit pour que les commis­saires aux comptes soient enfin mieux compris de leurs clients et leur environnement général.

« Le 77 représente à lui seul la moitié du territoire de l'Île-de-France. »

« La Seine-et-Marne comptait, en 2016, 71 670 entreprises dont la moitié dans le secteur tertiaire des services. 95 % de petites entreprises comptent moins de 10 salariés ; 4 % ont un effectif de 10 à 50 salariés. Seul 1 % ont un effectif supérieur à 50 salariés. Ces pourcentages sont proches des données « Île-de-France », mais aussi nationales. »

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