« Parce que nous avons des racines, nous aurons des ailes pour la Seine-et-Marne. »
Vous venez d'être élu à la présidence du Département à la suite de la disparition brutale de Jean-Jacques Barbaux...
Nous avons évidemment été bouleversés par sa disparition. Il a réalisé un travail remarquable pour redresser la Seine-et-Marne. Quand il est arrivé à la présidence du Département, nous avions une capacité d'autofinancement de 600 000 euros, pour un budget de 1,4 milliard. La situation était donc catastrophique. Jean-Jacques Barbaux a remis les finances en ordre, ce qui a entraîné une baisse de nos dépenses de fonctionnement, une augmentation de notre capacité d'investissement et un désendettement très important, qui nous permettent de voir l'avenir avec une certaine sérénité. Nous sommes néanmoins soumis aux contraintes du Pacte de stabilité et à des décisions gouvernementales que nous ne maîtrisons pas, comme l'accueil massif des Mineurs non accompagnés, par exemple, qui représentent une charge de 30 millions d'euros en 2017.
Jean-Jacques Barbaux avait, par ailleurs, une réelle vision pour la Seine-et-Marne, concrétisée dans un Livre blanc. Cette vision est exactement la mienne. Je m'inscris donc dans une totale continuité. J'étais son Premier vice-président. En toute confiance, il faisait de moi son successeur potentiel mais, bien entendu, à beaucoup plus longue échéance. Hélas, les choses se sont précipitées avec sa disparition brutale. Succéder à quelqu'un qu'on appréciait autant est humainement très dur. Il faut pourtant continuer son action.
Quelle est votre vision pour la Seine-et-Marne ?
Je veux que la Seine-et-Marne, valorise ses innombrables potentiels encore insuffisamment exploités. A l'inverse, je n'accepte pas qu'elle soit un territoire de relégation comme on l'a trop souvent vu en grande couronne.
Notre volonté est d'y développer l'activité économique afin de limiter les transports pendulaires. Nous savons que, globalement, un Seine-et-Marnais sur deux travaille encore hors du territoire ; essentiellement à Paris et en petite couronne. L'un de nos défis est d'améliorer les trajets, en termes de temps et de qualité. Le retard annoncé sur un certain nombre d'interconnexions, les gares de Chelles et du Mesnil-Amelot, par exemple, essentielles pour le Nord du territoire, est un réel problème.
Compte tenu de la nature du territoire, à dominante rurale, nous préparons le transport à la demande. Île-de-France Mobilités est aussi engagée sur cette option essentielle pour améliorer la mobilité. C'est une anticipation des transports du futur, notamment avec les navettes autonomes qui apparaîtront dans 10 ou 15 ans. Le jour où ce système sera au point, le plus petit village de Seine-et-Marne sera directement connecté à une gare.
Quels sont aujourd'hui les atouts majeurs du département en termes d'attractivité ?
La Seine-et-Marne est constituée à la fois de zones urbaines, de zones périurbaines, extrêmement dynamiques économiquement, et de zones rurales, le poumon vert de l'Île-de-France. Nous voulons profiter de cette extrême diversité pour organiser un écosystème attractif. Avec un positionnement à la fois urbain, “techno”, et rural, le Département a une réelle carte à jouer. C'est l'un des points sur lesquels je souhaite mettre l'accent, avec un territoire qui doit être le plus attractif possible pour les entreprises. J'ai la forte conviction que l'initiative et le développement économiques ne sont pas portés par le pouvoir politique, mais plus sûrement par les entreprises et les entrepreneurs.
A travers mon activité d'avocat, j'ai beaucoup travaillé avec des entreprises allemandes et j'ai constaté, outre-Rhin, cette capacité de développement par les territoires, notamment avec le modèle bavarois et le rôle qu'y jouent les PME et les ETI. Voilà ce que nous devons encourager.
Pour y parvenir, le Département dispose aujourd'hui de deux outils essentiels, d'une part Seine-et-Marne Attractivité dont la vocation est d'attirer et de conforter les entreprises en Seine-et-Marne, et, d'autre part, le Conseil stratégique, réunissant des entreprises clés du département et les chambres consulaires, avec pour mission de réfléchir aux grands sujets, de l'attractivité du territoire aux mobilités en Seine-et-Marne, de la création d'une école internationale du tourisme à la filière bois, de la valorisation des déchets inertes à la transition énergétique... Nous avons tenu à placer à la tête de ce Conseil stratégique, non pas une élue, mais une actrice du monde économique, Marie-Thérèse Blanot, la présidente de Silec Câbles. Cette belle ETI, de quelque 1 500 salariés, basée à Montereau, leader sur les câbles à haute tension et sur la fibre optique, est typiquement le genre d'entreprise industrielle de taille intermédiaire sur lequel nous devons miser.
Les nouvelles technologies ont également droit de cité en terre seine-et-marnaise ?
C'est un autre atout majeur de la Seine-et-Marne, en lien avec les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Depuis 2003, le département conduit en effet un programme d'irrigation de son territoire en Très haut débit. Aujourd'hui, celui-ci est pratiquement arrivé à son terme. Entre 2014 et 2023, nous allons investir 40 millions d'euros sur Seine-et-Marne Numérique, ce qui nous permis d'accélérer le déploiement de ce Très haut débit avec une avance de cinq ans sur les autres départements. L'objectif est d'arriver à la fin du programme, vers 2023, avec 99 % de la Seine-et-Marne y ayant accès. C'est vraiment une nécessité économique impérative pour le développement de l'activité.
Nous allons à présent devoir relever le défi des nouveaux usages. Demain, nous serons capables de proposer des emplois du XXIe siècle dans les zones les plus isolées du département, assortis d'autres habitudes de travail, mais aussi d'une approche de la télémédecine. Cette nouvelle façon de vivre, d'apprendre et de travailler sera bientôt possible dans tout le département, ce qui constitue une singularité en Île-de-France.
L'emploi en Seine-et-Marne est-il en phase avec les ambitions de développement des entreprises ?
J'étais élu du canton de Nangis, fort de 46 communes, où nous avons quelques très belles entreprises comme FM Logistique ou les Brioches Pasquier. Cette année, ces deux dernières ont chacune programmé une centaine d'embauches en CDI, sans diplômes requis, pour des postes d'opérateurs, sans besoin de formation initiale. Pourtant, ces deux entreprises peinent à recruter. Le Département a vraiment un important travail à entreprendre pour réhabiliter l'image de l'industrie et favoriser les formations adaptées.
Quand on a 30 000 bénéficiaires du RSA en Seine-et-Marne, on est en droit de se poser un certain nombre de questions. Concernant ces allocations de solidarité, nous allons prioriser le retour à l'emploi par le travail. Je peux d'ores et déjà vous annoncer qu'un site internet, “Job77”, sera en ligne dans les mois qui viennent. Il proposera une géolocalisation des offres d'emploi. Nous inviterons les bénéficiaires du RSA à utiliser cette plateforme.
Certes, ce n'est pas nous qui allons créer l'emploi dans le département, car l'entreprise est seule créatrice d'emplois pérennes, mais nous devons être des facilitateurs capables de procurer les outils nécessaires pour que ces emplois soient occupés localement. L'objectif est de contractualiser ce système afin de sortir de l'aide sociale par l'emploi.
La Seine-et-Marne a-t-elle des ambitions européennes ?
Concernant l'Europe, – j'étais auparavant Premier vice-président, chargé des finances et des affaires européennes –, nous sommes parvenus à consommer et à élargir l'usage des fonds FSE – Le Fonds social européen vise à soutenir l'emploi et à promouvoir la cohésion économique et sociale dans les États membres, ndlr. Nous sommes passés de 1,5 million d'euros sur la précédente mandature à 6,7 millions d'euros aujourd'hui. Nous allons ainsi bénéficier d'une enveloppe supplémentaire de 1,2 million de ces fonds européens, pour les trois ans à venir, soit au total 7,9 millions d'euros. Par ailleurs, nous avons candidaté sur le projet “Europe créative” pour mettre le château départemental de Blandy-lès-Tours au cœur d'un réseau européen de sites culturels. Cinq cents candidatures ont été déposées à la Commission européenne. Seules
10 % seront retenues. Il est prématuré de l'annoncer. Notre vocation d'acteur européen reste donc limitée. En revanche, j'ai la volonté de développer des partenariats avec un territoire européen assez comparable au nôtre, probablement allemand, ayant la même problématique de territoires ruraux avec la nécessité de préserver l'environnement, le cadre de vie et la non consommation de terres agricoles ; un sujet particulièrement stratégique pour la Seine-et-Marne, sans oublier la haute technologie.
La définition des limites de la Métropole du Grand Paris est aujourd'hui un sujet majeur pour un département comme la Seine-et-Marne...
Effectivement. Sur ce point, on nous annonce une réforme, reportée mois après mois. Il y a là un problème de méthode. Aujourd'hui, tous les départements de petite et de grande couronnes sont unanimes et solidaires. Tous les partis, des communistes aux Républicains, tiennent le même discours, ce qui prouve que l'enjeu est d'intérêt général. Avec si peu de concertation, nous sentons poindre la décision parisienne, jacobine, centralisée, technocratique.
Le département est pourtant un échelon qui doit impérativement être préservé. C'est le message que portait Jean-Jacques Barbaux et que je porte à mon tour. Prenons l'exemple des routes départementales. Vous ne pouvez pas saucissonner la Seine-et-Marne, qui est le plus grand département d'Île-de-France et qui compte quelque 4 000 km de routes, en 10 ou 15 établissements publics territoriaux. Vous n'auriez plus aucune vision de la stratégie routière départementale.
Inversement, le département est un échelon irremplaçable en termes de proximité. Le mode de scrutin binominal – une femme et un homme –, au suffrage universel direct – et non par scrutin de listes – est essentiel. Ce mode de scrutin que je défends est celui d'une femme et d'un homme d'un territoire. Il constitue l'une des forces du département.
Nous sommes dans un monde d'accélération, avec des défis passionnants, mais face à l'adaptation qui doit être rapide, il faut préserver des facteurs d'enracinement. Le département, ce sont deux siècles de l'Histoire de France, la loi de 1790 qui en a posé les principes et, à présent, un facteur nettement identitaire. Nous venons de mener une enquête qui indique que 86 % des Seine-et-Marnais se déclarent attachés à leur département. Cette adhésion est très importante. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cette référence.
Pour vous, la métropole, c'est donc l'échelon régional ?
Oui, clairement. Il suffit de regarder la carte du Grand Londres ou celle du Grand Berlin pour s'en persuader... On y retrouve l'échelon régional. Nous voulons donc une métropole régionale dans laquelle les départements conservent leur autonomie et intègrent la gouvernance. A la métropole la stratégie et aux territoires l'action.
Faut-il considérer la métropole comme une architecture politique ou comme un fait géographique ? J'ai tendance à penser que c'est d'abord un fait géographique, donc aux frontières de la Région.
Aujourd'hui, la légitimité démocratique est à la Région par l'élection, aux départements par l'élection, aux communes par l'élection, avec leur émanation que sont les EPCI –Etablissements publics de coopération intercommunale, ndlr. Cet aspect démocratique doit primer.
L'agriculture et le tourisme en pointe
Comme le souligne Jean-Louis Thiériot, « Nous avons vraiment la volonté de mettre l'agriculture et les agriculteurs au cœur du dispositif, avec notamment un projet en cours de plateforme d'approvisionnement qui doit permettre de fournir les cantines de nos collèges en produits locaux. C'est une volonté forte du département, même si cette stratégie est beaucoup plus complexe à mettre en place qu'on pourrait le croire. Il faut réaccorder les habitudes alimentaires au rythme des saisons. Consommer local est un véritable défi.
Dans la même dynamique, nous favorisons le retour de l'élevage en Seine-et-Marne, à travers un engagement avec la Chambre régionale d'agriculture et la Maison de l'élevage d'Île-de-France. Il y a actuellement des initiatives formidables portées par les Bergers d'Île-de-France, avec leurs agneaux, et les éleveurs du “Bœuf d'Île-de-France”.
Nous touchons-là l'une de mes convictions : le citoyen a deux sources de pouvoir, son bulletin de vote, une fois tous les cinq ans, et sa carte bleue, trois fois par jour. Il est possible de consommer la qualité locale à quelques centimes d'euros près. C'est là une pédagogie du goût qu'il nous faut promouvoir.
L'enjeu majeur est de nourrir la métropole. Le Département y prendra toute sa part, à travers le redéploiement d'une agriculture périurbaine, à l'instar de ces maraîchers qui travaillaient autour de Paris il y a un demi-siècle.
Nous avons par ailleurs la chance d'être un département essentiel en matière de tourisme, avec Disney et le nouvel investissement programmé, Villages nature, l'exceptionnel massif de Fontainebleau, des sites à visiter comme Vaux-le-Vicomte, Blandy-les-Tours... Le tourisme génère aujourd'hui quelque 40 000 emplois ».
« La Seine-et-Marne est un concentré d'Histoire de France »
« Si nous voulons avancer dans une logique de marketing du territoire, l'image du département, forte, identitaire, rassembleuse et fidèle, passe par l'Histoire. La Seine-et-Marne, c'est à la fois la Préhistoire, avec Nemours et les fouilles de Châteaubleau.
La Seine-et-Marne, c'est aussi le Moyen-Âge, avec Provins et Blandy-lès-Tours. La Seine-et-Marne, c'est l'éclat de la Renaissance avec Fontainebleau, c'est le génie du Grand Siècle avec Vaux-le-Vicomte, Fouquet et l'aigle de Meaux. La Seine-et-Marne, c'est la douceur de vivre du XVIIIe siècle avec les châteaux de Champs-sur-Marne et d'Aulnoy.
C'est l'épopée napoléonienne avec la bataille de Montereau et la cour des Adieux de Fontainebleau. C'est le développement industriel à Noisiel, avec les chocolats Meunier et le patronat social innovant. Ce sont aussi les champs de bataille de 1914 et le musée de la Grande Guerre.
Mais la Seine-et-Marne, c'est aussi celle du XXIe siècle, celle de Disney, celle du rayonnement touristique renouvelé avec Villages Nature, celle de la Cité Descartes et de son impressionnant réservoir d'idées et d'innovation. La Seine-et-Marne n'est pas tout à fait une destination comme les autres. »