Débuté en 2015, le chantier pharaonique du Grand Paris Express (GPE) ne devrait pas s’achever avant 2030. Quinze longues années de travaux pilotées par la Société du Grand Paris (SGP) pour construire un réseau de transport public tentaculaire (200 kilomètres) composé de quatre lignes nouvelles de métro automatique autour de Paris et du prolongement de deux lignes existantes. Si ce chantier hors norme alimente autant le débat, c’est notamment en raison de sa gestion des millions de tonnes de déchets qu’il génère et des questions environnementales qu’il soulève. Aujourd’hui, la Seine-et-Marne, “poubelle de l’Île-de-France” pour certains, se retrouve aux premières loges. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Le chiffre donne le tournis. Pour construire le super métro du Grand Paris, ce sont 47 millions de tonnes de déblais (ou 23 millions de mètres cubes) qu’il va falloir excaver. Pour se faire une idée du gigantisme de l’opération, c’est l’équivalent du rehaussement de plus de 20 cm de Paris ou de neuf pyramides de Kheops. En mai dernier, la moitié avait déjà été évacuée. Mais que faire de ces montagnes de terre ? C’est la question que tout le monde se pose, riverains, élus locaux et associations de défense de l’environnement.
Un enjeu politique
En 2016, un an après l’ouverture du chantier du Grand Paris Express, la majorité départementale (LR-Agir-UDI-DVD) avait trouvé un accord avec l’entreprise Enviro Conseil Travaux (ECT), premier groupe français de stockage de matériaux inertes, basé à Villeneuve-sous-Dammartin. Contre un million d’euros, le Département avait stoppé son action en justice à l’encontre des autorisations d’extension accordées à Annet-sur-Marne et Villeneuve-sous-Dammartin, deux sites de stockage de déchets gérés par ECT.
Quelques mois plus tard, le tribunal administratif de Paris, à la demande de la Préfecture de région, annulait le Plan de prévention et gestion des déchets de chantier (PREDEC), mis en œuvre en 2015 par l’ancienne majorité départementale socialiste. Cette décision ouvrait alors la voie à l’extension des sites de stockage. Résultat : à la fin de l’année 2020, 8 626 979 de tonnes de déblais issues du chantier du GPE avaient été déversées sur le sol seine-et-marnais, soit 70 % des déchargements effectués sur les 20 premiers exutoires du GPE. Par rapport au précédent comptage de 2018, cela représentait une forte hausse (6 353 979 de tonnes). En juin 2021, Jean-François Parigi, alors candidat aux élections départementales, avait fait de cette question des déchets son “cheval de bataille”. Si la situation n’a guère évolué, l’actuel président (LR) du Département n’en demeure pas moins vigilant (lire encadré).

Un enjeu environnemental
En mai dernier, la Société du Grand Paris a joué la carte de la transparence en organisant, à Saint-Denis, une visite de chantier. « Entre 10 et 20 % des déblais en Île-de-France sont des déblais du Grand Paris Express. 98 % des terres sont non polluées et non dangereuses. Elles peuvent donc être réutilisées », insistait Bernard Cathelain, membre du directoire de la SGP, s’appuyant sur les nombreuses analyses réalisées en laboratoire. « L’infime portion restante, polluée par l’activité humaine (solvants ou hydrocarbures), doit obligatoirement être conservée dans des installations de stockage dédiées », ajoutait-il. Mais au début de l’été dernier, de la pyrite FeS2 (disulfure de fer contenant notamment des métalloïdes toxiques pouvant entraîner une acidification du sol et de l’eau) a été découverte dans 167 000 tonnes de terre du chantier du GPE déversées entre avril 2020 et avril 2021 dans les deux installations de stockage de déchets inertes (ISDI) seine-et-marnaises gérées par ECT.
Ces dépôts ont fait l’objet de deux arrêtés préfectoraux ordonnant leur surveillance et des contrôles jusqu’à l’été 2023. Si, pour l’instant, aucun danger n’a été constaté, certaines associations écologistes, comme France Nature Environnement Seine-et-Marne (FNE 77) ont tiré la sonnette d’alarme. Elles redoutent une “bombe à retardement” en raison de la proximité des captages d’eau de Mitry-Mory et d’Annet-sur-Marne, qui fournissent des centaines de milliers d’habitants en eau potable.
Du côté d’ECT, on se montre serein : « les études déjà réalisées sur nos sites ont démontré l’absence de concentration importante en pyrite. Nous échangeons depuis près de deux ans avec la Préfecture de Seine-et-Marne et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Ce dernier n’a pas édicté de normes sur les terres de la SGP. Il n’y a aucun risque de dégagements gazeux. Affirmer le contraire serait une contre-vérité scientifique ».
Un enjeu financier
Pour la SGP, la gestion globale des déchets a un coût : un milliard d’euros environ. Ces mêmes déchets peuvent aussi rapporter des recettes (sous forme de taxes) aux communes concernées. Celles-ci ont également la possibilité de demander aux entreprises de stockage de leur financer des travaux d’aménagement. Dans le même ordre d’idée, un accord signé, en 2015, entre ECT et le Département, prévoyait une contribution de 500 000 euros de l’entreprise de stockage de matériaux inertes pour construire une plateforme de recyclage des déchets du GPE et pour participer à la réfection des routes situées autour de ses cinq sites seine-et-marnais. Mais ce projet, mené par l’ancien président du conseil départemental, Jean-Jacques Barbaux, (décédé en 2018), n’a pas connu de suite.
Traçabilité et recyclage
Propriétaire des déblais, la Société du Grand Paris tente de parer d’éventuelles fraudes. Elle piste ainsi ses déchets, grâce à un système de traçage numérique des camions jusqu’à leur destination finale. « Ils sont pesés au départ et à l’arrivée », indique Thomas Gaudron, responsable de la gestion des déblais et de la valorisation à la SGP. Par ailleurs, une convention a été signée avec l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), organisme rattaché à la Gendarmerie, pour du “partage d’informations”.
« On n’a pas identifié de fraude sur les chantiers », constate Jean-François Monteils, président de la SGP.
D’autre part, en matière de recyclage et d’économie circulaire, l’objectif de la SGP est d’atteindre 70 % de valorisation. Aujourd’hui, si une petite partie (2,3 %) est réemployée dans l’écoconstruction via des matériaux recyclés (brique, céramique, carrelage, béton…), la majorité des déblais valorisés servent de remblais dans des carrières de granulats et de gypse, des friches en reconversion ou des espaces publics à réaménager. C’est notamment le cas du projet de parc paysager de la plaine du Sempin, situé en partie à Chelles, qui va nécessiter 1,4 million de tonnes de terre. Même chose à Iverny, village situé près de Meaux, où un espace paysager et sportif a été inauguré en juin dernier.
À Annet-sur-Marne, un des sites de stockage gérés par ECT, une partie de la zone remblayée sera destinée à l’agroforesterie, tandis que l’autre sera aménagée en zone sportive et de loisirs. « Si nous avons accordé notre confiance à l’entreprise ECT, c’est parce que nous avons jugé intéressante sa démarche de proposer un véritable projet partenarial d’aménagement. Contrairement à d’autres, nous ne considérons donc pas notre commune comme étant la ”poubelle du Grand Paris Express”, conclut Christian Marchandeau, maire adjoint délégué au patrimoine, aux travaux, à l’urbanisme et à la sécurité.