Pour cette 19e édition de la Convention d'IPE 77, l'équipe de Stéphane Torrent a mis les petits plats dans les grands. L'Espace Pierre Bachelet de La Cartonnerie, à Dammarie-les-Lys, a été transformé en un véritable plateau TV pour accueillir “The IPE tonigh show”, un rendez-vous construit à l'image des talk-shows américains à succès. Chroniqueurs, invités surprise, mentaliste, artiste-peintre officiant sur scène… IPE 77 n'a pas lésiné sur les moyens pour concocter à ses quelque 300 invités un rendez-vous marquant et ressourçant, avec pour mots d'ordre l'humour, la convivialité, et le partage d'expérience. Mais la Convention 2 019 a aussi et surtout été l'occasion de s'interroger sur la prise de risque, à l'aune de l'expérience de deux explorateurs de l'extrême et du Nord-Ouest, Yvan Bourgnon et Alban Michon, qui ont tous deux testé leurs limites au cours d'une expédition polaire. « Qui mieux que deux explorateurs de l'extrême pour débattre des limites à la prise de risque ? », s'est interrogé Stéphane Torrent, fondateur d'IPE 77 et animateur de la soirée.
Yvan Bourgnon et Alban Michon, lors de la Convention IPE, à Dammarie-les-Lys.
Deux explorateurs passionnés
Décrit comme un sportif de haut niveau et un aventurier des temps modernes, Yvan Bourgnon s'est passionné très tôt pour les multicoques, sillonnant les océans pendant près de 17 ans. À son actif : cinq Routes du rhum, quatre transats Jacques Vabre, ou encore un tour du monde en catamaran de sport sans habitacle ni GPS, bouclé en 230 jours de mer.
Désireux de tenter une nouvelle aventure afin, notamment, de constater de ses propres yeux les effets du réchauffement climatique, Yvan Bourgnon entame en 2017 un parcours de plus de 7 500 km pendant deux mois sur l'Océan Atlantique et l'Océan Pacifique, en passant par les îles arctiques du Grand Nord canadien. Arrivé à Nuuk au Groenland, il boucle ainsi le Défi Bimedia et devient le premier skipper à boucler le passage du Nord-Ouest sur un catamaran de sport en solitaire, sans habitacle, ni assistance. Tempêtes, blocs de glace, températures négatives, roches non cartographiées, ours polaires… Durant ces 72 jours, Yvan Bourgnon atteint ses limites, assailli par le sentiment qu'il « n'a aucun droit à l'erreur ».
Passionnés par les régions polaires et la plongée sous-marine, Alban Michon définit très tôt ce qu'il souhaite faire de sa vie, en gardant en tête cette possibilité de partir à l'aventure. A peine âgé de 22 ans, il décide d'acheter l'école de plongée sous-glace de Tignes, en Savoie, puis le centre de plongée souterraine des Vasques du Quercy, dans le lot. Il se fait rapidement un nom en matière de plongée sous-glace et souterraine, développant ses entreprises avec l'objectif de rendre son milieu préféré accessible au plus grand nombre. En 2010, Alban Michon se rend au pôle Nord pour “Deepsea Under the Pole”, une expédition de 45 jours durant laquelle il plonge plusieurs fois sous la banquise, dans des lieux parmi les plus inhospitaliers de la planète. En 2012, il prend place sur un kayak de mer avec son ami Vincent Berthet, pour une aventure de deux mois en autonomie sur la côte Est du Groenland. De ce voyage, Alban Michon ramène des images d'immersion à couper le souffle, entre icebergs, ours polaires et aurores boréales, avec l'idée d'en faire notamment un témoignage pour les générations futures. Mais c'est en 2018 qu'il marche sur les pas d'Yvan Bourgnon en partant en plein hiver sur le passage du Nord Ouest, en solitaire pendant 62 jours. Son objectif final ? Plonger seul sous la banquise pour en explorer la face cachée et y recueillir du plancton afin d'étudier son ADN.
Yvan Bourgnon
Un risque mesuré
« Qu'est-ce qui se passe dans vos têtes lorsque vous décidez de réaliser une aventure aussi folle ? Comment définissez-vous le risque », lance d'abord Stéphane Torrent, sous les traits d'un présentateur TV. « Alors pour moi le risque est subjectif, quand je viens à Paris, je me demande comment vous faites ! », plaisante Alban Michon, avant de préciser que le risque est pour lui « unchemin parallèle qui permet de réaliser des choses extraordinaires malgré les peurs ». Yvan Bourgnon acquiesce en ajoutant que cette gestion du risque se fait progressivement, pas à pas. « J'ai navigué pendant 30 ans et vécu tellement d'aléas météorologiques, tellement cassé, qu'un petit risque supplémentaire représente une simple brique à jouter à l'ouvrage ».
Alban Michon classe plus précisément cet aléa entre la peur, le risque, et le danger. Si le risque peut être maîtrisé, le danger est quand à lui est « quitte au double » et « pardonne peu ou pas ». « Vu de l'extérieur, le défi peut paraître fou, mais ayant l'envie d'explorer depuis très jeune, je suis parti d'une feuille blanche, avec aucune limite en termes de réalisation, de budget, de faisabilité, ou d'avis extérieur. J'ai ensuite visualisé l'aventure dans ses moindres détails avant de la vivre, c'est ce qui me permet d'anticiper 98 % des risques », explique le plongeur sous-glace, précisant que les 2 % restants sont liés à la météo et à la chance. « Parce que dans ce cas, on dépasse la notion de risque et on tombe dans celle du danger », avertit le conférencier, avant de confier avoir dû risquer sa vie pour secourir son ami Vincent Berthet. « Il peut donc être intéressant pour le chef d'entreprise d'analyser s'il fait face à un risque ou un danger, et d'agir en conséquence », souligne Stéphane Torrent.
Une quête de sens
Chaque expédition d'un mois d'Alban Michon a nécessité près d'un an de travail collectif. Cette longue période est en effet mise à profit pour anticiper ce qu'il est nécessaire d'emporter « au gramme près », les kilomètres à parcourir, d'éventuelles rencontres avec la faune locale, etc. « En réalité, j'ai une solution pour tout. J'ai toujours eu du mal avec les personnes qui ont toujours des problèmes pour chaque solution », conclut l'explorateur avec malice, sous les applaudissements de la salle.
Yvan Bourgnon explique de son côté qu'il ne s'agit pas de faire « le défi le plus dangereux », mais de suivre sa voie, qu'il sait orientée vers ce type de navigation (catamaran de sport en solitaire et sans assistance). « Je voulais revivre ce que nos ancêtres, qui sont passés par là, ont vécu et constater de mes propres yeux la fonte des glaces », détaille-t-il. A l'instar d'Alban Michon, Yvan Bourgnon a aussi pu compter sur une équipe concentrée à 100 % sur son défi.
De plus, l'aventure se double d'une « quête de sens », Alban Michon ayant par exemple travaillé avec le Cnes et le CNRS pour faire des prélèvements, ou encore tester la réactivité du cerveau en milieu extrême. « Au quotidien, les chefs d'entreprise doivent donner du sens à leur projet, si nous voulons embarquer nos équipes avec nous, il faut insuffler une part de rêve ou au moins de défi à nos collaborateurs, les encourager à prendre des risques, à tenter », résume Stéphane Torrent.
Les deux explorateurs, également entrepreneurs et conférenciers, expliquent avoir réussi à entraîner leurs équipes et leurs proches, écoutant leur désir profond de faire découvrir ces environnements extrêmes et à la fois fragiles. « C'est ce qui vous ouvre des portes et fait que des gens vous suivent », explique Alban Michon, qui multiplié par six le chiffre d'affaires de son club de plongée en voulant au départ faire découvrir sa passion au grand public. « Nous avons innové sans le vouloir, simplement en concrétisant notre envie de rendre accessible la plongée sous-glace », ajoute-t-il.
Yvan Bourgnon a, quant à lui, tenté de transmettre son rêve de nettoyer l'océan de ses particules de plastique à chaque collaborateur et contributeur rencontré, avec l'idée de faire aboutir en 2020-2021 le projet “The Sea Cleaner“ (consistant en la construction d'un navire collecteur de déchets baptisé “Le Manta”).
Finalement, Stéphane Torrent demande aux deux explorateurs s'il ne serait pas plus dangereux d'éviter constamment la prise de risque. « Après 30 ans de carrière, les quelques fois où j'ai vraiment risqué ma vie, c'était justement en zone de confort, quand je pensais qu'il n'y avait aucun risque, que tout était facile parce que j'étais en terrain connu », confirme Yvan Bourgnon, rejoint par Alban Michon qui ajoute : « Mes amis les plus gravement accidentés ont été surpris alors qu'ils étaient sur de belles expéditions, mais situées près de chez eux, au cours de leur entraînement. Donc oui, il faut prendre des risques, mais des risques calculés, mesurés, et réfléchis ».
Faire prendre conscience de la possibilité d'agir et d'entreprendre face aux difficultés, mêmes extrêmes, c'est ce que Stéphane Torrent a souhaité transmettre avec l'intervention de ces deux explorateurs de l'extrême. Les recettes de la soirée ont également été remises au projet “The Sea Cleaners”, qui fait de l'éducation et de la communication en matière environnementale à l'échelle internationale, ainsi que de la recherche technologique. Entre autres actions, le réseau IPE a prévu de créer des ateliers dédiés, mais aussi de mener des actions en faveur de la préservation de l'environnement dans le département (détails à découvrir dans le Moniteur de Seine-et-Marne n° 48 “Spécial environnement”).