À la tête de 1 073 magasins et de plus de 5 000 salariés, elle évoque son parcours atypique qui l’a vue gravir tous les échelons et détaille son ambitieux plan de croissance. Rencontre avec une patronne qui adore relever les défis.
Vous affirmez souvent “venir du carrelage”. Que signifie cette expression ?
Dans notre jargon, cela veut dire que l’on vient du terrain. En effet, j’ai débuté ma carrière à 23 ans comme cheffe de rayon à Auchan. J’ai donc été une opérationnelle durant 15 ans jusqu’à devenir directrice d’hypermarché.
Le commerce est-il l’un secteur qui favorise la méritocratie ?
Il est peut-être celui qui permet d’évoluer rapidement, même en commençant au bas de l’échelle, à partir du moment où la motivation, le bon sens et les résultats sont présents. C’est le cas chez Picard. Nous recrutons nos collaborateurs sur la base de leur savoir-être et ils apprennent progressivement les connaissances techniques qui leur permettent de performer et d’évoluer. Aujourd’hui, deux tiers de nos responsables de magasins ont bénéficié d’une promotion interne et de nombreux collaborateurs des fonctions supports sont aussi issus de notre réseau.
Est-ce difficile de s’imposer dans ce milieu quand on est une femme ?
Durant mon parcours, il m’est arrivé d’être confrontée au plafond de verre à deux reprises. J’ai pu alors avoir le sentiment que l’on attendait parfois plus de moi que de mes collègues masculins. Pour accéder aux plus hautes responsabilités, les femmes doivent souvent faire leurs preuves dans tous les domaines (marketing, commerce, digital…). Finalement, c’est un véritable atout qui permet d’avoir une connaissance globale des sujets de l’entreprise.

Vous privilégiez le savoir-être au savoir-faire. Qu’entendez-vous par là ?
Chez Picard, nous considérons que le savoir-être des candidats est important, autant que leurs expériences ou leurs diplômes. Nous recrutons nos collaborateurs sur la base de leur personnalité et de leurs qualités humaines, car on n’apprend pas ces éléments contrairement aux compétences techniques. Nous développons ensuite le savoir-faire de nos salariés, grâce à un système d’intégration et de formation, qui leur permet d’évoluer au sein de l’entreprise.
Vous avez travaillé en Chine. Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?
Quand j’étais directrice d’hypermarché à Auchan, ma direction m’a proposé des fonctions plus stratégiques. En 2010, je suis ainsi devenue directrice marketing et au bout d’un an, j’ai accepté un poste en Chine. Pendant trois ans, j’ai été directrice régionale d’Auchan Chine. J’ai beaucoup appris pendant cette période, notamment le fait que le commerce est avant tout une affaire de culture et pas seulement une question transactionnelle. C’est aussi en Chine que j’ai découvert la culture du “Test & Learn” (“tester et apprendre”) que je transmets aujourd’hui à mes équipes.
En 2021, Picard Surgelés est redevenue l’enseigne préférée des Français. Quel est votre secret ?
Picard est une enseigne historique et chère au cœur des Français. Quand j’en ai pris la direction, j’ai passé plusieurs semaines à découvrir les équipes et les magasins de toute la France. J’ai aussi écouté attentivement nos clients. Dans la foulée, j’ai lancé avec mes équipes un plan de croissance ambitieux tout en capitalisant sur les points forts de l’entreprise. Picard est, en effet, plébiscité pour sa qualité produit, ses 250 innovations par an et sa relation client. Ce sont autant d’éléments que nous avons souhaité valoriser. Je pense que cet équilibre entre le renouveau de l’entreprise et le maintien de son ADN si spécifique a su convaincre les Français.
Comment votre entreprise parvient-elle à surmonter les crises à répétition que nous traversons ?
Il faut s’adapter en permanence. Aujourd’hui, nous avons des convictions, mais plus de certitudes. Cela implique un changement de paradigme culturel. Comme je l’ai déjà dit, je promeus la culture du “Test & Learn”, qui nous offre de l’agilité. Lors de la crise sanitaire, il a fallu nous adapter pour répondre à la très forte demande, et notamment en e-commerce. C’est pour cela que nous avons étendu la livraison à domicile à toute la France fin 2020 et testé le “Click and Collect”, puis la livraison express, avec Deliveroo. Depuis, nous avons déployé ces deux services à l’échelle nationale.
Comment se traduit la sobriété énergétique chez Picard ?
On s’est engagé depuis une dizaine d’années dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Un des axes de notre stratégie est, bien entendu, de limiter notre empreinte sur l’environnement et cela passe notamment par une juste maîtrise de notre consommation d’énergie. Depuis 2012, nous avons déjà réussi à la réduire de 10 % et notre objectif est de la baisser encore de 10 % d’ici 2026.
“Proxima”, votre plan de croissance, compte plusieurs axes. Quels sont-ils ?
Ce plan a été lancé en 2020, alors que l’enseigne connaissait une croissance plate depuis plusieurs années. Il a été pensé pour répondre à un objectif financier précis : atteindre un chiffre d’affaires de deux milliards d’euros en 2026, contre 1,5 milliard d’euros en 2020. Pour cela, nous allons chercher à :
- optimiser la performance commerciale, en remettant le client au cœur de notre stratégie.
- multiplier les parcours de courses, notamment digitaux, pour répondre aux usages actuels et nous rapprocher ainsi des Français.
- accroître notre maillage territorial et nous implanter à l’international.
- développer une marque puissante et différenciante sous toutes ses dimensions (enseigne, citoyenne et employeur).

Quel genre de PDG êtes-vous ?
En rejoignant Picard, j’ai cherché à mettre toutes mes connaissances et mes expériences à son service. J’ai ainsi souhaité développer une nouvelle culture d’entreprise. Cela passe notamment par un management de proximité basé sur un “désilotage” des directions, un mode de travail plus transverse et une communication plus horizontale. C’est très important de donner du sens aux équipes. J’essaie toujours de faire preuve de congruence, afin de partager ma vision et d’impliquer tout le monde. Je suis aussi toujours animée par l’envie d’entreprendre avec mes équipes, pour lancer de nouveaux projets tout en admettant que le droit à l’erreur existe. C’est ce que j’ai retenu de mon expérience en Chine.
Que représente le nouveau siège social à Fontainebleau inauguré en 2020 ?
À travers son Histoire, il existe un lien très fort entre Picard et Fontainebleau. Il était donc important d’y garder un ancrage et de participer au dynamisme de la ville. Ce siège est un très beau bâtiment moderne, lumineux et particulièrement bien intégré à son environnement forestier. C’est un outil de travail très qualitatif pour les équipes. Je m’y rends toujours avec plaisir.
Comment imaginez-vous Picard dans dix ans ?
Les changements au sein des entreprises se sont accélérés avec les crises successives et nous risquons d’être confrontés à de nouvelles dans les prochaines années. Nous allons notamment nous appuyer sur le développement continu des technologies tout en gardant prioritaires les notions de proximité et de relation client, afin de créer ce que j’appelle un commerce “unifié”. Les attentes des consommateurs sont aussi plus fortes, sur des sujets comme l’impact environnemental des entreprises. La RSE doit devenir un moteur de croissance et une condition indispensable à notre succès.
Picard et Fontainebleau, un lien historique
C’est en 1906 que Raymond Picard crée une fabrique de pains de glace servant à garder au frais les aliments et les boissons dans des glacières. Située rue de Neuville, à Fontainebleau, elle est baptisée “Les glacières de Fontainebleau”. Raymond Picard livre ses pains de glace aux cafés, aux restaurants et aux particuliers. Il faut attendre 1973 pour que l’entreprise prenne le nom d’“Établissements Picard”. Elle va commercialiser des congélateurs. Un an plus tard, un premier magasin ouvre ses portes. L’enseigne est restée implantée à Fontainebleau jusqu’en 1979, année de son déménagement dans la ville voisine de Nemours, où un entrepôt et un laboratoire de fabrication y sont construits. Si la marque de produits surgelés possède toujours ses services commerciaux à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), elle a acté son retour à Fontainebleau en 2020, avec l’inauguration de son nouveau siège social (1 200 m2). Situé en lisière de la forêt, sur le lieu-dit des Glières, dans anciennes friches militaires, il est implanté dans le quartier du Bréau. Près de 200 salariés y travaillent.