« Je crois profondément en l'avenir des experts-comptables et des commissaires aux comptes ». Invité pour la plénière de clôture du 72e congrès des experts-comptables, intitulée « construisons ensemble les métiers de demain », le ministre de l'Economie et des Finances a été accueilli avec un large enthousiasme, avant même d'entamer un discours ponctué de louanges à l'égard des professionnels du chiffre. « La profession va évoluer, l'intelligence artificielle remet en cause certaines tâches répétitives, mais ce que vous apportez à l'économie est irremplaçable », a poursuivi Bruno Le Maire, en réponse à l'économiste Nicolas Bouzou, pour qui les experts-comptables sont voués à disparaître.
Pour l'homme d'Etat, au contraire, le lien de confiance entre ces professionnels du chiffre et le monde économique français ne peut disparaître. Ce derniers proposent en effet conseil de proximité, ont une connaissance intime des TPE/PME et disposent d'un savoir-faire précieux. Ils sont enfin disponibles et offrent une certaine sécurité juridique.
Une analyse développée préalablement par Charles-René Tandé, président de l'ordre des experts-comptables, qui a par ailleurs salué la présence de Bruno Le Maire, y voyant la reconnaissance de leur rôle d'accompagnement des entreprises et de l'économie.
Participer à l'élaboration de la loi
Construisant son verbe en trois axes, le président de l'ordre a d'abord soutenu que les experts-comptables pourraient exercer cette mission avec toujours plus d'efficacité s'il participaient à l'élaboration de la loi. « Les experts-comptables, au contact quotidien du monde économique, peuvent apporter beaucoup à la réflexion du législateur », a-t-il appuyé.
Supprimer les régimes dérogatoires en les intégrant s'il le faut dans le droit commun (l'exemple du CICE), offrir un environnement stable et adapté au développement des PME, protéger le patrimoine de l'entrepreneur individuel (taxation sur les seuls bénéfices prélevé)… Autant de mesures inspirées de la pratique quotidienne des experts-comptables. Enfin, Charles-René Tandé souhaite attirer l'attention du législateur sur la majoration des seuils du régime de la micro-entreprise, une mesure de simplification mais qui n'est pas sans limites.
Ce constat dressé, le président de l'OEC a confié au ministre de l'Economie certaines difficultés liées aux contraintes successives supportées par la profession. Si les lois sur le blanchiment, les lanceurs d'alertes ou la protection des données personnes ne sont pas du fait du législateur national, le contrôle des pièces justificatives mis en place par les organismes de contrôle agréés, ou encore la déclaration sociale nominative (DSN) ont donnés des sueurs froides à la profession. Le président de l'OEC a salué à ce titre le report du lancement du prélèvement de l'impôt à la source: la mise en place du bulletin de paie clarifié et des logiciels de caisse certifiés sont déjà deux « chantiers importants pour les clients et les cabinets ».
En effet, si la profession se tourne d'avantage vers le conseil, le temps qui y sera consacré ne devra pas souffrir de nouvelles contraintes. « Des clients qui se développent sont des clients bien conseillés, a souligné Charles-René Tandé. Et dans la mesure où ces derniers, qui représentent 3 millions d'entreprises et 15 millions d'emplois, sont en bonne forme, c'est toute l'économie qui respire.
« Je vous propose que la profession renforce son engagement pour la croissance des PME », a-t-il appuyé, citant pour l'exemple la mise en place de « Business story » pour la création d'entreprise et de « Cap sur le numérique » pour la transition digitale. « L'Ordre va mettre à disposition des cabinets des outils leur permettant d'initier une démarche d'identification du potentiel de croissance des entreprises », a-t-il annoncé dans le même sens.
Business Story, le dispositif d'accompagnement à la création d'entreprise, lancé le 3 février 2016 par l'Ordre des experts-comptables, a gagné plus de 3700 cabinets et généré 1400 prises de contact entre experts-comptables et porteurs de projet.
Ce nouveau dispositif national permet aux porteurs de projet de bénéficier de 3 RDV offerts par un expert-comptable volontaire autour d'une ou plusieurs prestations proposées dans le dispositif. La plateforme " Cap sur le numérique" propose de son côté un accompagnement aux experts-comptables tout en servant de vitrine de l'engagement de l'Ordre vis à vis des entreprises.
Saluant finalement la bonne orientation des « indicateurs macro-économique » relevés sur le terrain, Charles-René Tandé a indiqué compter sur le ministre de l'Economie pour ne pas alourdir les contraintes pesant sur les cabinets. « Il est temps de passer en revue chez nos clients leur système d'information, leur organisation, leur politique de ressources humaines, leur politique d'achat et de vente… Pour en faire de véritables leviers de croissance », a-t-il argué, précisant que la croissance et la compétitivité des entreprises en ressortiraient renforcées.
Un ministre à l'écoute des professionnels du chiffre
Evoquant ensuite les mutations technologiques en réponse au président de l'Ordre, Bruno Le Maire a rappelé que les professionnels du chiffre sont les « meilleurs relais, les plus avertis » et sont des acteurs indispensables au dialogue entre les entreprises et les pouvoir publics, accompagnant quatre entreprise sur cinq au quotidien. « J'ai besoin de vous, experts-comptables et commissaires aux comptes, pour porter cette transformation économique, accompagner les entrepreneurs et fixer un cap », a-t-il lancé avec vigueur, après avoir notamment égrené quelques éléments de politique fiscale appréciés des professionnels du chiffre (allègement de la fiscalité sur le capital, CICE transformé en allègement de charges, élargissement des régimes simplifiés de micro imposition).
Précisant rester à l'écoute, l'ex-candidat à la primaire de la droite s'est montré par la suite particulièrement compréhensif à l'égard des inquiétudes livrées par les experts-comptables.
S'agissant d'abord de la déclaration sociale nominative, Bruno Le Maire a annoncé recevoir au ministère de l'Economie et des Finances tous les organismes complémentaires ne s'étant pas mis aux normes. « Vous êtes mis en cause par les PME, alors que ce n'est pas vous qui êtes responsables », a-t-il souligné. Ensuite, le report de la mise en place du prélèvement de l'impôt à la source est pour lui une décision « sage », permettant d'éviter aux experts-comptables d'essuyer des « difficultés majeures ». Les logiciels de caisse seront également modernisés dès le premier janvier 2018, une mesure qui représente un véritable progrès pour le ministre.
L'intégration des CAC au sein des sociétés pluriprofessionnelles
Reçu en clôture du congrès en respect de la tradition « à laquelle nous n'avons jamais manqué », Jean Bouquot, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), s'est félicité de la véritable communauté formée par les experts-comptables et les commissaires aux comptes. Puis, évoquant les récentes mutations touchant la société française, Jean Bouquot a estimé que la profession avait « besoin d'exprimer son rôle et sa valeur ajouté au service de la transparence», une valeur jugée essentielle par l'ensemble de la société. Mais ce renforcement passera par une réforme de la formation, dans la mesure où la profession n'attire plus les jeunes talents.
« Il faut que nous réformions notre modèle de certificat d'aptitude à la profession de CAC pour valoriser beaucoup mieux les acquis de l'expérience, en permettant à d'avantage de compétence de rejoindre les rangs de nos cabinets », a-t-il projeté. Jean Bouquot n'a pas non plus laissé de côté le numérique, pointant les dangers qu'il recèle pour les grandes entreprises.
Assurant être au côté du Ministre de l'Economie, Jean Bouquot a conclu son propos en rappelant que l'audit légal à la française était « plus qu'une simple certification des compte, mais un certificat de sécurité dont tout l'environnement économique et social peut bénéficier ».
Sensible à la question de l'attractivité des CAC, Bruno Le Maire s'est dit favorable à l'inclusion des commissaires aux comptes au sein des sociétés pluriprofessionnelles d'exercices, dans le cadre d'une loi sur la transformation des entreprises prévue pour 2018.
Reste à mettre en place dans la pratique tous les « savoir-faire » transmis lors de ce congrès lillois, avant de se tourner vers le 73e congrès des experts-comptables, qui se tiendra les 10,11, et 12 octobre 2018 à Clermont-Ferrand, qui sera axé sur la croissance des cabinets.