Intervenant en droit des affaires et spécialisée en droit des sociétés (transmission et restructuration des entreprises), Fabienne van der Vleugel a très tôt intégré à sa pratique les modes alternatifs de règlement des conflits (MARC). Elle est médiateur agréé et arbitre international. Professeur associée à l'UPEM (Université Paris Est Marne-la-Vallée) en droit des affaires approfondi, secrétaire générale du comité 77 des CCEF (Conseillers du commerce extérieur de la France), elle a récemment organisé, en sa qualité de présidente du Forum mondial UIA (Union internationale des avocats) des centres de médiation, le 25e anniversaire dudit Forum à Chessy. Evoquant sa pratique de multiples activités, Fabienne van der Vleugel donne également sa vision de l'évolution de la médiation et de l'entrepreneuriat, en France et en Seine-et-Marne. Elle plaide pour une meilleure intégration des MARC et une valorisation de la connaissance des règles de droit. Rencontre…
Pourquoi avoir choisi d'installer vos locaux au Val d'Europe, en 2007 ?
Le territoire du Val d'Europe m'a directement interpellée, lorsque je suis arrivée en France : moderne, en constant développement et évolution rapide, il permet d'allier la vie professionnelle et la vie privée d'une façon équilibrée. C'est un territoire qui est au croisement des chemins et des générations, très facile d'accès et riche d'innovations, proche de la gare TGV de Marne-la-Vallée, de l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle et du centre de Paris, tout en gardant son écrin de verdure. Le Val d'Europe attire de plus en plus d'entreprises qui définissent leurs valeurs en adéquation avec ces caractéristiques avantageuses. Ce lieu autorise l'organisation d'événements de belle envergure, à connotation internationale. C'est notamment pour ces raisons que j'ai choisi d'ancrer le 25e anniversaire du Forum mondial UIA des centres de médiation sur le territoire du Val d'Europe, en juin 2018.
Les entrepreneurs qui se sont installés étaient des pionniers ?
C'est l'expression que certains utilisent pour identifier ceux qui ont pris le pari, il y a plus de 10 ans, de fixer le siège social de leur société sur ce territoire plein d'avenir, alors même qu'autour de la gare du départ du RER A, il n'y avait presque aucun immeuble construit. Depuis, les rues et les immeubles se multiplient, de nombreuses belles TPE, PME et grandes entreprises ne cessent de s'installer, le Pôle Universitaire, l'hôpital, le centre commercial du Val d'Europe, moult restaurants, les enseignes, la Vallée Village. Bref, le secteur IV de Marne-la-Vallée s'étend régulièrement, se structure de toutes parts, se consolide et regroupe des talents. Ceci prouve que les prises de risques des entrepreneurs qui on fait choix de s'implanter sur ce territoire débordant de potentiel étaient réfléchies et que le pari était bon.
Comment définiriez-vous votre métier ?
Il s'agit de déployer l'accompagnement juridique et judiciaire pour personnes physiques (les entrepreneurs, les associés, les dirigeants) et personnes morales (les entreprises). Le métier d'avocat d'affaires est situé au croisement de ces deux mondes irrémédiablement liés : le juridique et le judiciaire. Le travail juridique est souvent plus mal connu, car l'avocat est assez régulièrement perçu comme le défenseur des droits devant les autorités judiciaires. C'est évidemment une part importante et noble de notre travail. Cela étant, et notamment en droit des affaires, le contentieux découle souvent d'un juridique mal traité ou mal négocié. Pour imager mes propos, comparons l'anticipation et la guérison. D'aucuns pourraient songer à ne consulter leur avocat qu'une fois le mal subi, pour « corriger » une trajectoire, alors que s'il y avait eu une consultation juridique en amont, il n'y aurait peut-être pas eu de besoins de guérison, puisque le mal aurait été évité ou mieux anticipé. Ainsi, par exemple, en droit des sociétés, un contrat trop rapidement signé, sans explications suffisantes, peut provoquer des crispations en cours d'exécution et conduire à la naissance d'un litige devant finalement être tranché par les juges. Des statuts signés sans véritable négociation entre associés fondateurs peut provoquer des blocages au sein de l'entreprise. Ces difficultés pourraient être contournées s'il était plus régulièrement rappelé que le droit n'est pas juste un « accessoire » encombrant, des « papiers » à signer, et de « l'administratif à devoir assumer » après avoir négocié. La connaissance des règles de droit permet plutôt assurément d'organiser des stratégies à moyen et long termes. Les règles existent, il convient de les connaître pour gérer en amont une situation avec force, et ne pas devoir subir en aval des dérives qui auraient pu être identifiées et évitées. En bref, nous accompagnons évidemment les clients lorsqu'il y a du contentieux mais nous les soutenons aussi pour traiter des questions purement juridiques, pour négocier d'une façon efficace leurs contrats, pour restructurer les groupes de sociétés d'une façon adaptée.
Je rappelle d'ailleurs régulièrement à mes étudiants – futurs entrepreneurs, décideurs – que le droit, c'est de la stratégie, et qu'un chef d'entreprise n'a d'autres choix que de rester attentif aux exigences juridiques qui s'imposent à lui.
L'enseignement fait aussi partie de vos activités…
A côté de mon activité professionnelle en tant qu'avocat, j'ai le plaisir d'enseigner le droit des affaires approfondi en tant que professeur associée à l'Université de Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM), sur le site de Meaux.
Quels sujets vous tiennent à cœur, dans cet enseignement ?
Dès le départ, il me paraît intéressant de préciser aux étudiants que la connaissance des notions de droit rejoint le concept de la stratégie, et qu'ils sont plongés dans le monde du droit quotidiennement : ouverture d'un compte bancaire, signature d'une acte de caution, négociation d'un contrat de bail, constitution d'une société, dépôt d'un permis de construire, contrat de prêt, factures impayées à recouvrer, litige à gérer avec ses voisins, son employeur, son associé. Il vaut donc mieux connaître le droit, agir avec anticipation, que de devoir subir ses effets a posteriori.
Le cours de droit des affaires approfondi est organisé autour de la vie de l'entreprise, sa constitution, sa vie juridique, le contentieux judiciaire et les MARC, la procédure collective des sociétés. Nous traitons les sujets de manière très pragmatique pour aborder les différentes évolutions que peut connaître une structure entrepreneuriale, volontairement ou involontairement : les problématiques de recouvrement, les opérations de haut de bilan, l'implantation à l'étranger, la filiale, les succursales, la TUP (transmission universelle de patrimoine), les cessions de titres, les garanties d'actif et de passif. Les étudiants sont invités à réfléchir pour résoudre eux-mêmes des cas pratiques, à anticiper les difficultés et à rechercher des solutions, en mettant en œuvre la théorie et en faisant preuve d'imagination. Un pan du cours est consacré à la médiation conventionnelle et judiciaire et aux autres MARC (négociation pure, procédure participative, droit collaboratif, arbitrage), pour que les étudiants puissent intégrer les caractéristiques des divers modes de résolution des litiges, pour qu'ils soient en mesure de faire face aux conflits d'une façon aussi éclairée que possible.
Le cours accorde aussi beaucoup d'importance à la forme, la manière de s'exprimer oralement et par écrit. En d'autres termes, les étudiants sont aussi sensibilisés à l'importance du choix des mots, l'utilisation d'expressions appropriées, l'absence de fautes d'orthographe, leur présentation. La bonne gestion de ces points offre un fondement solide et participe à la structure des bases de la bonne négociation – en droit des affaires, et de façon générale d'ailleurs.
Je sensibilise aussi, autant que possible, les étudiants à l'absolue nécessité de connaître les langues : l'anglais est une évidence, l'espagnol, l'allemand, le chinois, et pourquoi pas l'esperanto dont on parle un peu plus depuis le Brexit.
Encore plus aujourd'hui qu'auparavant, les étudiants ont de multiples possibilités qui s'offrent à eux pour partir à l'étranger, faire des stages au sein d'entreprises locales ou étrangères, s'ouvrir au monde. A l'UPEM, nous encourageons les étudiants à s'intéresser à ces projets fort valorisant et les jeunes osent, partent, découvrir d'autres horizons. Parallèlement, les programmes Erasmus se sont développés, et constituent des tremplins extraordinaires. J'ai terminé mes études de droit en Espagne, à Séville, en 1992-1993, en suivant le programme Erasmus :
il n'y a rien de mieux pour étudier une langue, que d'être immergé dans le pays.
On pourrait d'ailleurs s'inspirer de cela pour l'enseignement en France : donner des cours d'Histoire en anglais, des cours de mathématiques en espagnol. Mais, cela relève d'un autre débat.
En toutes circonstances, l'empathie, la connaissance de la culture de l'autre, l'intérêt et la connaissance des pays voisins et des autres continents relèvent aussi, assurément, du droit des affaires.
Cela rejoint la notion de compliance ?
C'est intéressant que vous me posiez la question parce que, justement, il y a peu, j'ai été contactée par ma collègue CCEF (Conseillers du commerce extérieur de la France), Isabelle Ginet-Kauders, directrice auprès d'Osaco, pour travailler activement sur ce sujet, dans le cadre d'un groupe d'expertise (GE Compliance) regroupant d'autres collègues CCEF de divers pays et continents. Nos travaux sont guidés par plusieurs objectifs , notamment: sensibiliser et former les entreprises françaises à la compliance dès qu'elles sont implantées à l'international.
Vous êtes secrétaire générale du comité 77 des CCEF. Quelles sont les missions des CCEF ?
Les CCEF sont des chefs d'entreprise et des experts de l'international nommés par décret du Premier ministre sur proposition du secrétaire d'État chargé du Commerce extérieur et investis par les Pouvoirs publics de quatre missions qu'ils déploient bénévolement : le conseil aux Pouvoirs publics, notamment en émettant des avis, en donnant des analyses ou des recommandations sur les problématiques des échanges internationaux, la promotion de l'attractivité en France, en insistant sur la valorisation des atouts de la France et en facilitant les décisions d'investissement, le parrainage et l'appui aux entreprises qui cherchent à se développer au niveau international, et le soutien au développement des VIE (volontariat international en entreprise), la formation des jeunes à l'international notamment par l'organisation d'examens récompensés par le « certificat CE », la participation à des jurys d'examens, l'aide à la recherche de stages. Nous sommes 4 .000 CCEF répartis en France et dans plus de 140 pays.
Récemment, ce mercredi 13 septembre, à l'INSEAD, Fontainebleau, plus de 80 entreprises ont participé à la conférence/retour d'expériences organisé par le comité 77 de Seine-et-Marne présidé par Charles Brun. Des débats et des échanges se sont construits autour du thème « Parrainages et VIE : des leviers pour votre développement international ». Ce type d'événement permet aux chefs d'entreprise de partager leurs informations pour améliorer leur stratégie d'approche de tel ou tel pays, éviter des erreurs, gagner du temps. Les 4 et 5 octobre prochains, Paris accueille le 5ème mondial des CCE marquant leur anniversaire de 120 ans : un bel événement avec une succession de conférences de haut niveau.
Quel est votre regard sur la vie des affaires, notamment au niveau local ?
De façon générale, il existe un réel engouement pour la création d'entreprise et le développement sur le territoire local et à l'international. L'audace et la témérité existent vraiment et c'est une bonne chose. Cela étant, l'enthousiasme ne peut faire l'économie de réflexions posées, et d'une ouverture réfléchie sur l'international, si l'on veut que le projet entrepris tienne sur le long terme, dans le respect des règles qui s'imposent. Les démarches ont d'autant plus de chances d'être couronnées de succès, si elles ont été initiées après avoir évalué les risques, analysé les conseils, critiqué les avis, écouté les retours d'expériences, pour se forger de la sorte son opinion personnelle éclairée. Les chefs d'entreprise sont tous appelés à devoir, quel que soit leur métier, et quel que soit leur secteur d'activités, à sortir de leurs zones de confort, à s'intéresser à d'autres pays et travailler au-delà des frontières avec leurs clients, leurs fournisseurs, leurs partenaires. Si les frontières paraissent dissipées, compte tenu de la facilité des contacts et des échanges, il n'en reste pas moins vrai que les systèmes juridiques restent encore bien différents et que les règles de droit continuent à s'imposer : droit national, traités, directives, règlements… Les relations contractuelles qui se nouent restent irrémédiablement liées au juridique et les clauses doivent être négociées de façon détaillée, en ayant systématiquement à l'esprit le souvenir qu'en cas d'inexécution, la première question posée sera : « Mais, que dit le contrat ? ». Et ceci vaut pour tous les contrats : les statuts constitutifs de société, le contrat de franchise, le contrat de distribution exclusive, les cessions de titres, les garanties d'actif et de passif… Aucune situation n'est identique à une autre, de telle sorte que les rapides « copiés/collés » de contrats conduisent parfois à des situations inextricables. Le temps consacré aux fondations d'une entreprise ou à une restructuration, via de bonnes négociations, reste un investissement profitable à long terme. Le juridique constitue l'une de ces fondations.
Il est d'ailleurs bon de garder à l'esprit la nécessité de négocier aussi les clauses dont personne ne se soucie jamais assez au moment du closing : les clauses relatives au règlement des conflits qui sont encore trop souvent négociées en fin de parcours, voire pas du tout. Aujourd'hui, il peut être conseillé d'intégrer une clause prévoyant, en cas de litige, le fait que les parties négocient d'abord elles-mêmes leur litige (1re étape). Si leurs négociations n'aboutissent pas, elles décident d'organiser une médiation soit avec l'association qu'elles pourraient d'ores et déjà identifier soit avec un médiateur non désigné mais pour lequel elles auront fixé une méthode de désignation (2e étape). Ce n'est que si cette médiation n'aboutit pas, que les parties ont alors un choix : soit elles s'orientent vers l'autorité judiciaire, soit elles préfèrent l'arbitrage (3e étape).
Ce type de clause instaure des étapes dont la succession paraît de prime abord assez rationnelle et simple. D'ailleurs, lorsque les parties sont en train de négocier le contrat, elles sont généralement enthousiastes à l'idée qu'on leur permette de garder le pouvoir et la maîtrise du conflit qui risque de les déchirer dans le futur (et qu'elles n'imaginent, du reste, pas possible, puisqu'elles négocient précisément un contrat qu'elles veulent exécuter de bonne foi).
Pourtant, en pratique, une fois qu'une crispation s'installe, ces mêmes parties n'auront peut-être plus ni l'envie ni la force ni le réflexe de négocier. Et, parfois le conflit est tellement intense qu'elles ne veulent même plus se voir. C'est à ce moment-là que la clause de résolution de conflits se rappellera à leur bon souvenir.
Pourquoi la pratique de la médiation doit être approfondie ?
La médiation, qu'elle soit ordonnée par un tribunal (“médiation judiciaire”), ou initiée à l'initiative des parties (“médiation conventionnelle”), est toujours volontaire. Elle suppose la présence d'un médiateur, qui est un tiers neutre, indépendant et impartial. Ce médiateur peut être choisi par les parties directement, relever d'une association ou d'un centre de médiation. Ce processus permet aux parties, accompagnées le plus souvent par leurs avocats respectifs, de fixer elles-mêmes une solution pragmatique à leur conflit, avec l'aide du médiateur, dans un environnement de travail confidentiel. Les solutions qui en découlent sont celles que les parties jugent satisfaisantes. Ces solutions ne sont pas toujours répercutées dans un contrat écrit, mais elles sont en tout cas systématiquement volontairement exécutées (puisqu'elles sont négociées) et conduisent régulièrement au maintien des relations d'affaires.
Cette méthode de résolution de conflits requiert beaucoup d'énergie de la part des parties et la volonté sans faille de travailler ensemble à la définition d'une solution. Elle est fort appréciée en droit des affaires puisqu'elle a l'avantage de permettre la fixation d'une solution dans un laps de temps réduit, ce qui autorise la continuité du business.
En Seine-et-Marne, l'Amidif, dont la présidence est assurée par Jean Bernini (président honoraire du tribunal de commerce de Meaux), est régulièrement nommée par divers tribunaux.
Vous aviez rédigé, en 2012, un article pour le New York Dispute Résolution Lawyer sur le faible développement de la médiation en Europe. Qu'en est-il aujourd'hui?
En France, les diverses méthodes alternatives de résolution des litiges sont encore parfois confondues entre elles : arbitrage, médiation, conciliation, droit collaboratif et procédure participative. Chaque méthode est pourtant totalement différente, a ses avantages et ses caractéristiques. Il convient de choisir celle qui convient le mieux au cas d'espèce.
Dans certains pays, la médiation constitue une étape obligatoire avant certaines procédures judiciaires. Dans d'autres, la médiation a plus de difficulté à percer dans les pratiques. Aujourd'hui, ce qui est certain, c'est qu'en France, la médiation est reconnue à part entière comme constituant un processus adapté à de nombreux litiges. Elle permet assurément de purger définitivement non seulement le litige en tant que tel, mais souvent aussi (et d'ailleurs surtout) les relations crispantes qui n'étaient pas visibles et dont le conflit qui a explosé n'était, en définitive, qu'une excroissance (la “partie visible de l'iceberg”).
En quoi certains dossiers ne sont pas “médiation – compatibles” ?
La médiation reste un processus volontaire, choisi par les parties, qu'elles acceptent de mettre en œuvre, soit parce qu'elles l'ont décidé spontanément, soit parce que l'idée leur a été suggérée en cours de procédure judiciaire. Si l'une ou l'autre partie ne souhaite pas entamer ce processus, il n'y aucun ombrage à prendre. Si la médiation n'est pas initiée, ou si elle est avortée, la procédure judiciaire (ou l'arbitrage) est entamée, ou poursuivie.
Le dernier Forum UIA des centres de médiation s'est tenu en Seine-et-Marne. Qu'en est-il s'agissant des prochains événements ?
Le 26e Forum sera organisé en Suisse, à Zurich , du 8 au 9 mars 2019. Il promet à nouveau de rassembler des entreprises, médiateurs, professeurs, étudiants, avocats, de tous âges et de tous continents pour partager les expériences et les pratiques en médiation. Après chaque Forum, les participants repartent avec plus d'idées nouvelles.
Des locaux pensés pour la pratique de la médiation
« Les espaces de travail de VDV Avocats ont notamment été conçus pour parfaire l'organisation des négociations, et pouvoir organiser les médiations : une large salle de conférence plénière, deux salles de réunions privées pour les caucus (réunion privées confidentielles avec chacune des parties), accès direct aux jardins, larges espaces de travail, décoration avec exposition permanente par des artistes de la région, facilité d'accès, parking, le tout accessible pour les personnes à mobilité réduite. ».