Est-ce que vous auriez pensé, en quittant votre poste de député, que la France allait sombrer dans une telle crise sanitaire ?
Je mentirais en disant que j'étais devin et que je l'avais deviné. Je suis parti de la vie politique nationale en 2018 pour m'impliquer pleinement pour les entreprises et pour le “made in France” et je n'imaginais pas que la France serait frappée de cette manière-là et que le monde serait mis à genoux par un ennemi aussi invisible qu'imprévisible.
Aujourd'hui, que devenez-vous ?
Je m'occupe de promouvoir le made in France et les entreprises qui produisent en France, parce que je suis persuadé que produire en France, c'est un beau projet de société, c'est la mobilisation des territoires, de l'innovation, du savoir-faire digital et numérique et des savoir-faire ouvriers, ainsi que la mobilisation des circuits courts. Au fond, dans un monde soucieux de l'impact carbone, l'idée de faire venir un jean qui a fait 10 000 kilomètres avant d'aller l'acheter en magasin est une idée folle, tout comme le fait que 80 % des salades qui sont consommées ont fait plus de 2 000 kilomètres entre le lieu où elles sont produites et celui où elles sont consommées. On se dit qu'on est devenu fou ! Il m'a semblé qu'au fond, si la vie publique m'a donné tellement de bonheur, en tant que maire, député, vice-président de l'Assemblée nationale et ministre, j'éprouvais parfois un sentiment d'inutilité ou en tout cas, je faisais des choses intéressantes mais je ne voyais pas la traduction des efforts que je pouvais faire dans la réalité.
J'ai continué le combat politique en me mobilisant pour les entreprises qui produisent en France, à travers mon métier de consultant, et de façon plus générale, avec le souci de l'intérêt général, je me bats à travers la certification Origine France Garantie que j'ai créée il y a maintenant dix ans, pour défendre ceux qui produisent en France, pour essayer de favoriser les relocalisations et pour préserver ce qui me semble le plus utile dans notre pays, c'est la France des usines et des ateliers. Je discutais il y a quelques mois avec un Suisse qui nous disait que, comme en France, ils ont une église dans chaque village, mais qu'à la différence de chez nous, ils ont aussi une usine dans chaque village. Il faut retrouver cette France des ateliers, des usines, des endroits de production. Il n'y a rien de plus noble que de produire et rien ne peut faire plus nation que la mobilisation pour produire car on mobilise toute la société, celui qui innove, qui fabrique, qui vend et qui distribue, autour de cette idée de la France productive.
En son temps, Colbert avait lancé un programme pour industrialiser le royaume de France. Aujourd'hui, voulez-vous aussi lancer un programme de ce type, un programme “Colbert” ?
Je pense que Colbert avait lancé effectivement l'idée de manufactures et d'ateliers d'État. Pas sûr que ce soit, au XXIe siècle, à l'État de produire. Je suis un libéral, donc je pense que la production est plus liée aux entreprises et aux entrepreneurs, mais je pense que c'est déjà une excellente prémisse dans le plan de relance du Gouvernement. Il faut effectivement s'adresser à cette France qui produit, construire des usines pour accueillir des entreprises, pour construire des ateliers, il faut redonner aux métiers de la manufacture toute leur noblesse et que tous se mobilisent autour de cette idée-là. Produire en France, c'est, à mon avis, le guide et la boussole des années post-Covid.
Le Gouvernement a lancé un grand Plan de relance. Comment le trouvez-vous ?
Je pense qu'il y a beaucoup de choses et qu'il s'affinera une fois qu'on sera vraiment sorti de cette crise sanitaire. Il y a des choses qui me satisfont, comme l'idée des relocalisations et les crédits prévus pour les relocalisations sont déjà consommés, ce qui prouve qu'il y a un vrai mouvement de relocalisation possible. La baisse des impôts de production aussi, parce que si on veut produire en France, il faut baisser les impôts de production pour favoriser la production nationale. Je pense qu'il y a une vraie prise de conscience avec le “made in France”, car lorsqu'on ne sait plus produire, on se fragilise. Il faut donc retrouver la voie productive.
Certains souligneront que produire en France coûte 10 fois plus cher à l'achat que lorsque le produit qui a été fabriqué en Chine…
Ça coûte 10 fois plus cher à produire mais on ne l'achète pas 10 fois plus cher. Si la production française était si difficile à concurrencer, je ne vois pas pourquoi les grandes entreprises, comme Toyota, auraient implanté leurs usines en France, alors que les Yaris, qui sont fabriquées à Valenciennes, sont vendues dans toute l'Europe. Elle aurait été dans un pays où on produisait pour moins cher. Quand on interroge les salariés de Toyota, ils expliquent que la productivité française, la qualité de nos ouvriers, de nos ingénieurs et nos savoir-faire productifs viennent compenser le coût social de la production en France. J'ajoute que produire en Chine est certes moins cher que produire en France, mais le produit chinois n'est pas forcément vendu moins cher aux consommateurs européens. Une paire de chaussettes produite en France revient à 9 ou10 euros, alors qu'une paire de chaussettes produite en Chine revient à 50 centimes d'euros, mais celle-ci est vendue presque aussi cher que la paire de chaussettes produite en France. Ce n'est pas, au fond, le consommateur qui a le bénéfice du “low cost”, qui sert à enrichir des marges souvent d'importateurs ou d'industriels peu scrupuleux. A la question « est-ce que le made in France est plus cher pour le consommateur français ? »,
je réponds « “le made in ailleurs” est souvent trop cher ».
Justement, comment peut-on convaincre les fabricants de produire, de fabriquer en France ? Sachant qu'ils seront obligés d'une certaine manière de réduire leurs marges.
Non, pas forcément. Je pense d'abord que la baisse des impôts de production peut favoriser la production française, l'automatisation, la digitalisation des usines va aussi favoriser un regain de productivité entre les pays low cost qui auront besoin de beaucoup de personnes pour produire et les pays avec des usines plus automatisées, on peut rattraper les équilibres. D'ailleurs, il faudra aussi des gens pour fabriquer les automates, pour les installer et les maintenir. Le débat qualité/coût de production est un débat que nous n'avons pas perdu. Il faut sans doute que l'Etat fasse encore des efforts sur les coûts de production et que le consommateur prenne conscience que quand on achète chinois, on achète au final trois fois.
TediBer, « Marque française qui fabrique près de chez nous … C'est vrai, la Belgique est proche de chez nous… »
Il y a la Chine, bien sûr, mais il y a d'autres pays européens entre lesquels il y a un véritable déséquilibre en ce qui concerne les charges sociales et les impôts. Certains pays de l'Union européenne ont des impôts et des charges sociales vraiment très bas. Que peut-on faire face à cette concurrence ?
On peut faire l'Europe, c'est-à-dire équilibrer dans le temps le modèle social, le modèle économique et le modèle fiscal des pays d'Europe. Soit on revient en arrière et on a des nations qui sont concurrentes, soit on va de l'avant, c'est ma vision, et on va vers une Europe qui a un modèle qui s'équilibre en 15 ou 20 ans en matière fiscale, sociale et environnementale. Et au fond, un salaire moyen européen et des coûts fiscaux qui s'unifient, c'est révolutionnaire, mais à force de refuser de le faire, on perd beaucoup de décennies et on se fait concurrence entre nous. Donc, je pense qu'il faut plus d'Europe, une Europe avec un plan de marche qui fasse que l'ouvrier polonais soit payé aussi cher que l'ouvrier français et que la fiscalité européenne s'équilibre. Il y aura évidemment des perdants et des gagnants, mais, à terme, c'est un continent de 150 millions de consommateurs qui trouvera sa force et qui permettra de nous en sortir dans le monde où les géants vont s'entrechoquer. Si l'Europe veut exister, il faut à mon avis qu'elle marche en avant.
Vous lancez un appel vos anciens collègues parlementaires sur un sujet qui a trait au soutien de la production française : le franco-lavage. Qu'est-ce exactement ?
C'est une petite partie des dérives qui fait que depuis une vingtaine d'années, le “made in France” est à la mode, les sondages le montrent. Le consommateur est prêt à payer plus cher pour acheter un produit français. Le “made in local” est de plus en plus important dans l'acte d'achat et des petits malins s'engouffrent dans cette attente pour vendre pour français des produits qui ne le sont pas. Le ”franco-lavage” est comme le greenwashing en matière écologique, c'est repeindre en bleu, blanc, rouge un produit qui n'est pas français. On le dénonce avec le magazine “Produire en France”, dont j'assure la direction de la rédaction, toutes ces marques qui mettent un drapeau français sur des produits qui ne sont pas fabriqués en France cherchent à tromper le consommateur. Quand vous achetez une paire de baskets avec un crocodile bleu blanc rouge d'une grande marque française et que vous vous apercevez qu'elle est faite au Vietnam, vous vous faites avoir deux fois, parce que vous croyez que c'était français et parce qu'elle est vendue au même prix qu'une basket française, alors que son coût de production au Vietnam est bien inférieur. Au vu de la dérive de cette mondialisation anonyme, nous avons donc lancé une pétition pour inciter les parlementaires à voter une loi simple pour que seuls les produits fabriqués en France puissent porter le drapeau français sur leur étiquette ou sur leur emballage. Cela me semble être la meilleure des choses à faire pour éviter les dérives que l'on constate et qui coûtent, selon les études, au seul secteur textile, 1 milliard d'euros par an et 40 000 emplois perdus, qui pourraient exister dans des entreprises françaises. On souhaite apporter la garantie au consommateur lorsqu'il achète un produit français, avec du bleu blanc rouge dessus, qu'il soit véritablement français. La transparence, la traçabilité sont indispensables et le consommateur ne doit pas être obligé de fouiller à l'intérieur du produit pour trouver l'étiquette qui indique l'origine du produit. C'est d'ailleurs ce que je fais depuis 10 ans avec la certification Origine France Garantie, qui permet aux entreprises de dire « Je produis en France, je certifie mes produits, je fais appel à des organismes indépendants qui viennent vérifier dans les usines, que ces produits sont français et j'apporte cette preuve au consommateur ».
Le pull Rossignol, « Jolie bande tricolore qui n'a rien à voir avec son lieu de fabrication car pour rappel le drapeau italien est vert – blanc – rouge.
A une couleur près, on y était ! »
Et dans le cas d'un fabricant qui fabriquerait son produit au Vietnam ou au Portugal et en arrivant en France customise un peu le produit et y appose le logo “made in France” ?
Il y a sans doute une question qui se pose autour du code douanier qui dit que pour être made in France, on regarde la dernière livraison principale sur un produit. D'ailleurs, avec la certification Origine France Garantie, nous sommes beaucoup plus exigeants, puisque si vous n'avez pas fait tout votre produit en France, vous n'aurez pas la certification. Par contre, si vous avez fait la dernière livraison et que 45 % du prix de revient unitaire de votre produit est acquis en France, vous pouvez être made in France, donc vous pouvez mettre un drapeau bleu blanc rouge. Il y aura sans doute une évolution du code douanier à venir, mais marchons étape par étape, faisons déjà en sorte que le drapeau français soit réservé aux produits qui ont eu au moins une partie de leur fabrication en France. On aura déjà fait un grand progrès avant, peut-être, de faire évoluer le code douanier et qu'il soit plus exigeant sur ce qu'est le « made in ». C'est un sujet passionnant mais je ne suis pas un ayatollah, je suis un libéral, je suis pour que les produits circulent, et je n'ai aucun problème qu'il y ait en France des baskets vietnamiennes ou des chaussettes chinoises, je veux juste que le consommateur en soit informé et qu'il fasse son libre arbitre.
Le manteau Fusalp, « La marque le revendique sur sa page d'accueil “L'esprit de création d'une marque iconique fondée par des tailleurs” force est de constater qu'ils se sont taillés en Chine. »
Avez-vous demandé le soutien des organisations patronales comme la CPME et le Medef ?
Je pense que les organisations patronales, en tout cas, les entreprises de la certification Origine France garantie, soutiennent cette idée, mais il y aussi les entreprises qui apportent des points de blocage sur la défense du made in France, sur la traçabilité des produits et sur l'interdiction de l'utilisation du drapeau français sur les produits français. Ce sont des entreprises et des entrepreneurs qui ont trouvé leur modèle et qui préfèrent importer plutôt que de fabriquer en France.